Dans les années 60 et 70, ils incarnaient le nec plus ultra de la modernité. Dormir au motel, c'était aussi profiter d'un téléviseur, de la climatisation et d'un bain à remous, objets que plusieurs foyers québécois ne possédaient pas. Aujourd'hui, même s'il n'a plus, dans l'esprit des Québécois, l'éclat d'autrefois, il serait précipité de déclarer le motel mort et enterré.

Né aux États-Unis, le motel a traversé la frontière avec l'arrivée de l'automobile. Avant la Deuxième Guerre mondiale, ce sont plutôt des «cabines», petits chalets à une chambre, que le voyageur en voiture trouvait sur son chemin. À partir des années 50, les longs bâtiments horizontaux qui constituent les motels que l'on connaît se sont mis à pousser comme des champignons le long des routes du Québec. Jusque dans les années 70, ils furent le type d'hébergement préféré des Québécois.

Selon Louis Jolin, professeur au Département d'études urbaines et touristiques de l'UQAM, c'est le côté simple et pratique du motel qui a séduit les Québécois. « Ce n'était pas sophistiqué. On n'était pas obligé de passer par une réception avec tout le décorum qui existait auparavant dans les hôtels. Dans les motels, c'était plus facile de voyager avec les enfants et la voiture était à côté de la porte », explique-t-il.

Ces établissements ont grandement contribué à la démocratisation du voyage chez les Québécois, constate aussi Louis Jolin. Ils ont aussi été le lieu des premiers ébats de plusieurs jeunes couples à la recherche de discrétion. Une réalité qui a contribué à forger une réputation négative aux motels, souvent considérés comme des lieux de débauche et de prostitution.

« Les motels anciens ont beaucoup de charme, mais en périphérie urbaine, c'est épouvantable, observe l'auteur du livre Motel Univers, Olga Duhamel-Noyer. En région, il y a de petits motels propres et bien tenus. De moins en moins, mais il en reste encore un peu. »

Les besoins évoluent

Au fil des ans, les besoins des Québécois en matière de voyage ont changé et l'offre d'hébergement s'est diversifiée et enrichie, entraînant le motel vers son déclin. Alors qu'avant, les Québécois étaient friands de circuits (tour de la Gaspésie et autres), aujourd'hui, ils préfèrent séjourner pendant quelques jours dans un lieu de villégiature, remarque Louis Jolin. « Maintenant, on cherche quelque chose d'un peu plus sophistiqué, d'un peu plus complet, souvent avec un service de petit-déjeuner, ce que les motels n'offraient pas pour la plupart », expose-t-il.

L'apparition de nombreux gîtes touristiques et la hausse de popularité du camping expliqueraient également la baisse de fréquentation des motels. Les gîtes du passant offrent toutefois une expérience fort différente des motels. « Dans un motel, il n'y a pas de déjeuner où tu es obligé de complimenter les crêpes au sarrasin de la madame », résume l'écrivain Éric Dupont dans la série documentaire Motel, no vacancy.

Aucune donnée ne permet de connaître le nombre exact de motels en activité au Québec. L'Association des hôteliers du Québec (AHQ) et la Corporation de l'industrie touristique du Québec (CITQ) amalgament motels et hôtels dans une même catégorie. Selon l'AHQ, environ 100 établissements hôteliers ferment leurs portes au Québec chaque année. Impossible cependant de savoir combien d'entre eux sont des motels.

Une valeur patrimoniale

Alors que plusieurs motels sont achetés par des immigrants chinois, d'autres se retrouvent sous le pic des démolisseurs. Ce fut le cas du mythique Motel Canada de Longueuil, fermé en 2007 puis démoli. L'événement avait provoqué une levée de boucliers chez les amoureux du kitsch. Une pétition avait été lancée par Roxanne Arsenault, auteure d'un mémoire de maîtrise sur l'histoire des lieux kitsch et exotiques du Québec.

« Il est vrai que le patrimoine implique généralement une architecture noble et des matériaux de qualité. Mais les lieux kitsch ne sont pas anodins pour autant. Ils appartiennent à un contexte historique et socioculturel », avait-elle alors déclaré.

Pour l'auteure Olga Duhamel-Noyer, la valeur patrimoniale des motels est indéniable. « Il y a des choses magnifiques. Mais, les gens ne voient pas ça. J'étais au Motel Métro le jour où ils ont défait l'enseigne. J'ai récupéré le haut. »

« Les propriétaires de motels ne sont pas des historiens d'art, poursuit-elle. Et c'est difficile de tenir un motel. On ne fait pas d'argent. »

Les motels sont-ils condamnés à disparaître? La présidente-directrice générale de l'AHQ, Danielle Chayer, souligne qu'ils ont toujours la cote auprès d'un certain type de clientèle, soit des travailleurs ou des voyageurs de passage qui cherchent une chambre abordable. Un avis que partage Lizane Bédard, propriétaire avec son mari du Motel Au Vieux Fanal de Rivière-du-Loup. « On reçoit beaucoup de motocyclistes qui aiment stationner leur moto devant leur porte, observe-t-elle. Et aussi des gens qui s'arrêtent ici avant de poursuivre leur route vers la Gaspésie. »

Mais le cercle est vicieux. Quand les affaires vont moins bien, les propriétaires de motels n'ont pas les moyens de restaurer leur bâtiment. Certains motels se sont toutefois modernisés. Quelques-uns offrent dorénavant le petit-déjeuner et plusieurs proposent l'internet sans-fil.

On est toutefois bien loin du mouvement de renouveau qui frappe plusieurs motels américains. « Je ne suis pas prophète, mais c'est sûr qu'on n'est pas dans l'âge d'or du motel, affirme Louis Jolin. On est plus dans une période de retrait. Est-ce que ça veut dire la fermeture des motels? Ça peut être leur mutation ou leur transformation. » À quand le motel comme destination branchée pour amateur de rétro?

L'histoire veut que la première utilisation du mot «motel» remonte à 1926. Voulant offrir aux voyageurs un endroit confortable où passer la nuit sur la route reliant San Francisco à Los Angeles, l'architecte Arthur Heineman construit le Milestone Mo-Tel, qui deviendra par la suite le Motel Inn. Le mot vient de la contraction de l'expression «motor hotel », couramment utilisée aux États-Unis.