Petite île au large d'Islay, Jura compte 200 habitants, 5000 cerfs et 30 000 fûts de whisky, aiment répéter ses habitants. Courtepointe de verts, de jaunes, de bruns, de bleus, de gris, le paysage change au gré des nuages. Un peu comme dans Islay, on peut y vivre les quatre saisons en une journée. La distillerie de l'île, la bien nommée Jura, fut fondée en 1810. On dit qu'à cette époque-là, le whisky produit était très tourbé. Aujourd'hui, les single malts de Jura sont plus doux et accessibles.

En 1901, la distillerie fut démantelée et tout l'équipement vendu sur le continent. On arracha les toits pour éviter d'avoir à payer des taxes. La reconstruction eut lieu en 1960 seulement et la réouverture en 1963. Au début, 90% du whisky produit était destiné aux blends. Aujourd'hui, 40% de la production d'environ 2 millions de litres va au single malt et 60% aux blends. La distillerie appartient maintenant à Wythe&McKay, qui possède cinq autres marques.

Sue Pettit, rare femme à travailler du côté de la production dans une distillerie des îles, a déménagé à Jura en 2007 avec ses quatre enfants pour leur offrir la tranquillité, la beauté et la simplicité d'une vie insulaire. C'est elle qui nous fait visiter les lieux et qui nous installe dans le "lodge", une grande maison de quatre chambres à coucher que nous occuperons pendant une nuit.

La distillerie a fait redécorer l'ancienne maison du distillateur en chef par Bambi Sloan. Qualifié de «crazy chic» ou de «chic excentrique», le style de la designer parisienne est harmonieux dans son extravagance, avec des détails ludiques et humoristiques un peu partout. Utilisé pour des retraites d'artistes, pour recevoir des partenaires d'affaires ou des touristes curieux, le lodge est une expérience en soi, qui aide à justifier le long voyage vers l'île où George Orwell a écrit son roman-culte 1984.

Ceux qui ne demeurent pas au lodge louent une chambre au Jura Hotel. Ici, on mange très convenablement, à toute heure de la journée. Il y a un seul autre restaurant dans l'île, The Antlers, où le gibier est à l'honneur. Pour vivre une expérience unique et tout à fait charmante, on se rend à Inverlussa, où une dame sert thé et dessert sur la plage.

Cela dit, les visiteurs ne vont pas à Jura pour sa gastronomie, mais pour sa nature: observation de la faune, kayak sur le loch Tarbert, randonnée aux Paps, ces trois montagnes coniques ("paps" signifie mamelon) que les marathoniens prennent d'assaut au mois de mai. De Jura, on peut également prendre un bateau pour se rendre au Corryvreckan, troisième plus important maelström au monde.

Se rendre à Jura du continent écossais n'est pas simple, il faut d'abord prendre un premier traversier pour Islay (environ deux heures), puis un deuxième (10 minutes), tout petit, entre Port Askaig et Jura. «Tu sais quand t'arrives, mais tu ne sais pas quand tu repars!» disent les Diurachs*. Et en effet, le jour de notre retour à Islay, le bateau est resté au port pendant quatre heures, le temps que le vent et les vagues se calment.

*Habitants de Jura