Le tatouage est désormais la norme. Le quart des Américains sont tatoués, selon l'Association médicale américaine. Même chose pour la population britannique. Après la déferlante de signes chinois et de tatouages tribaux, se dessine aujourd'hui une nouvelle tendance : le tatouage littéraire. Les mots dans la peau.

Ça ne trompe pas, le tatouage littéraire est in. La chair de plusieurs stars est gravée de textes soigneusement calligraphiés. La chanteuse Miley Cyrus porte sur l'avant-bras gauche une citation d'un discours prononcé par l'ancien président des États-Unis Theodore Roosevelt. L'actrice Megan Fox arbore les mots de William Shakespeare, extraits du Roi Lear, sur une omoplate et ceux de Nietzche sur son flanc droit. La chanteuse Lady Gaga porte sur son bras gauche une citation du poète autrichien Rainer Maria Rilke. Angelina Jolie a pour tatouage des mots de Tennessee Williams. Johnny Depp, ceux de James Joyce.

«Les adeptes de tatouage littéraire ne représentent pas le gros de ma clientèle, mais la tendance est nettement à la hausse dans le milieu, dit Maïka Houde, artiste tatoueuse. Ce sont surtout des filles qui optent pour les écritures, les citations. C'est très féminin.» Si de plus en plus de gens en portent, c'est avant tout une question de goût, avance-t-elle. «Et aussi probablement dû à un effet d'entraînement. Plusieurs vedettes en portent, non?» Elle-même porte des tatouages littéraires.

Professeure à l'École supérieure de mode de l'Université du Québec à Montréal, Mariette Julien donne quelques pistes d'explication. Elle s'intéresse notamment à la symbolique des esthétiques corporelles contemporaines. «Le tatouage permet de se construire une identité, de dire aux autres qui on est. On burine son corps pour afficher notre marque de commerce. Dans un texte, c'est plus facile à exprimer. Ça fait appel au côté rationnel, tandis que les graphèmes appellent à l'émotion.»

Le tatouage scriptural ne date pas d'hier, selon Mariette Julien. Les inscriptions de mots-clés faciles à décoder tels que «liberté», «paix», «amour», «je t'aime Linda» font partie des tatouages depuis longtemps. «Même dans les tribus ancestrales, les tatouages étaient codifiés avec une langue particulière.» Par contre, le tatouage littéraire est, lui, relativement récent, dit-elle.

On trouve de tout: de Marcel Proust à Lewis Carroll (Alice au pays des merveilles), de Frederic Nietzche à J.K. Rowling (Harry Potter). Les adeptes s'exposent comme canevas artistique sur des sites comme Contrariwise (contrariwise.org) ou The Word made Flesh, sur Facebook (literarytattoos) et plusieurs blogues. Des projets originaux naissent. Comme le projet Skin de l'auteure Shelley Jackson, qui propose un récit uniquement publié sur la peau de 2095 volontaires ou le projet québécois La marche à l'amour de Chantal Bergeron (https://lunettesroses.com/la-marche-a-lamour/).

Puisque le tatouage est désormais démocratisé, popularisé, le tatouage littéraire permet de se démarquer de la masse. «Lorsqu'on opte pour le tatouage littéraire, on expose son niveau de culture, on se distingue sur le plan artistique. On est une coche au-dessus. On tente de faire passer un message sous forme poétique, il y a une communication par les extraits choisis. On sélectionne les protagonistes de lecture : il faut un minimum de connaissances pour saisir la portée d'un tatouage littéraire. Il faut posséder le code de la langue [est-ce écrit en japonais, en allemand?] et être capable de comprendre le contenu. Or, on sait que la poésie n'est pas accessible à tous.»

Le tatouage littéraire s'inscrit aussi dans une volonté du retour aux traditions, soutient Mariette Julien. «Contrairement aux textos et à Twitter, le tatouage littéraire mise sur cet art perdu de la belle lettre. Ça oblige à prendre le temps de bien écrire, à choisir la typographie, ça met en valeur une calligraphie soignée.»

Il est aussi bien de son temps. «Depuis les années 90, il y a une volonté des gens d'attirer l'attention sur soi, dit la professeure. On le voit avec les réseaux sociaux. On veut se mettre en scène, provoquer, attirer les regards. C'est vrai pour le tatouage, encore plus s'il est littéraire.»

«Décoder une citation demande un temps de lecture plus long. La mémoire est capable de capter sept blocs visuels, sept mots. Si c'est plus long, ça demande un temps et une attention plus soutenus, c'est un principe connu en publicité.»

Après avoir fait sa place dans les clubs de danseuses, chez les punks et parmi les rebelles de tous genres, après s'être présenté sous forme de dragons et de têtes de mort, le tatouage est aujourd'hui ailleurs et bouge constamment. Déjà, on voit poindre de nouvelles sous-tendances. D'un côté, des tatouages d'encre blanche, discrets et chics. De l'autre, le tatouage facial, provocateur. Quelle sera la prochaine étape?

- Photos tirées de contrariwise.org