Médias sociaux à l'appui, les chefs du pays sont plus que jamais en contact les uns avec les autres. Alors qu'ils sont longtemps restés à l'écart, les Québécois multiplient aujourd'hui les échanges avec le «Rest of Canada» culinaire. Martin Juneau a même lancé, il y a quelques mois, les Royal Canadian Mondays au Pastaga, pour faire découvrir les talents canadiens. Bref regard sur ce qui nous différencie... et nous unit!

Il est évidemment impossible de témoigner de l'infinie variété de cuisines qui se sont développées au pays dans les dernières décennies (voire les derniers siècles, dans le cas de certaines provinces). «Le Québec est le champion des cuisines régionales et c'est sans compter l'apport des différentes vagues d'immigration. Alors imaginez au Canada! C'est un grand pays. Il y a des tonnes de cuisines différentes qui se pratiquent ici. Et c'est ce qui en fait la beauté et l'intérêt», affirme Derek Dammann, chef du restaurant Maison publique.

Cela dit, par la magie des réseaux sociaux, les chefs de partout au pays (et au monde, d'ailleurs) peuvent observer ce que font leurs collègues. «J'aime bien surveiller ce qui se passe à Vancouver, raconte le chef, originaire de cette ville. Ils ont leurs asperges et leurs têtes de violon un mois et demi avant nous. Ça nous permet de voir ce qu'ils font avec les produits avant que ceux-ci ne soient prêts chez nous. C'est inspirant. Ça donne des idées.»

Photo fournie par West

Les couteaux de mer, le thon albacore, la pieuvre (photo) et les oursins du Pacifique sont délicieux, clame Quang Dang.

La journaliste Sarah Musgrave a traversé le pays trois fois depuis 2010 afin de recenser les meilleures nouvelles tables pour le palmarès annuel d'En route, à paraître en novembre. Elle a aussi remarqué ce phénomène de pollinisation croisée et d'émulation qui pousse les chefs canadiens à se dépasser. Parfois, ils peuvent créer un étrange sentiment de «communion» (ou de répétition, c'est selon!) d'un bout à l'autre du pays. «Certaines tendances s'observaient à la grandeur du Canada: des plateaux de charcuteries, des marinades servies dans des pots Mason, puis des trucs plus obscurs comme les plantes marines.»

Éventuel effet d'une économie un peu chambranlante, la critique culinaire a également constaté que la tendance était aux petits restaurants, souvent ouverts par des gens qui avaient décidé de faire ce qu'ils avaient vraiment envie de faire, à leur manière, avec tout leur coeur. «La ville de Québec représente bien ce virage de petits restos d'auteurs plus décontractés, avec des adresses comme L'affaire est ketchup.»

Richesse nationale

En 2008, un tout premier Canadian Chefs' Congress s'est tenu à Eigensinn Farm, restaurant louangé de Michael et Nobuyo Stadtlander, situé en pleine nature ontarienne, à Singhampton. Le couple a conçu le congrès biennal comme une grande tournée sur 26 ans, qui s'arrêtera dans une nouvelle province ou un nouveau territoire à chaque présentation. L'an dernier, l'événement a eu lieu à Terre-Neuve. Chaque congrès sera tenu dans un endroit qui traduit bien la typicité de la région, de ses pratiques culinaires et de ses produits. Derek Dammann a participé aux deux présentations du Canadian Chefs' Congress. «Ce que j'aime le plus, c'est le sentiment de camaraderie. Ça m'a permis de rencontrer des gens incroyables, avec qui je reste en contact. Un gars du Nunavut était débarqué avec du caribou qu'il venait de chasser lui-même. Ce n'était peut-être pas le plus technique des chefs, mais il avait une débrouillardise et une connaissance de son territoire vraiment impressionnantes.»»Il y a un véritable éveil culinaire au Canada en ce moment. Et ça ne concerne plus que les chefs. Les agriculteurs, les éleveurs, les cueilleurs, les jardiniers, les pêcheurs commencent également à être célébrés, remarque Michael Stadtlander. Puis on voit que ça ne se passe plus qu'à Montréal-Toronto-Vancouver. Un fromager d'Alberta peut bénéficier énormément d'un échange avec un fromager québécois. Les chefs de la côte Est sont plutôt limités dans leur accès à de la viande de qualité. Mais si les éleveurs de leur coin rencontrent un éleveur de boeuf nourri à l'herbe, ça peut améliorer la situation. Les échanges d'idées sont primordiaux. Le Congrès permet ça.»

Aujourd'hui, donc, plutôt que de toujours lorgner l'Europe - mais sans non plus se fermer au reste du monde - plusieurs chefs découvrent que leur pays ne manque pas de talent. Entre eux, ils partagent, échangent, apprennent, stimulent, développent. Bref, ils célèbrent la richesse de toutes les cuisines canadiennes.

Photo fournie par Miv Photography

À L'Atelier, la viande locale est privilégiée, comme le boeuf, le wapiti (photo), le bison et le canard.