L'un vient d'un quartier pauvre de la Floride et se souvient du jour où sa mère a dû vendre le frigo pour payer l'épicerie. L'autre est le fils d'un immigrant sicilien vaguement criminel. Il est si proche de Don King qu'il est un des rares à pouvoir l'envoyer promener.

Le boxeur Tavoris Cloud et l'entraîneur Al Bonanni sont des personnages de roman. De ce genre de romans qui racontent la boxe américaine dans ce qu'elle a de plus sombre et sublime à la fois.

«Je viens du hood (milieu défavorisé), mec, c'est tout ce que je peux dire», lance Cloud lorsqu'on l'invite à raconter son enfance.

Cloud (24-1, 19 K.-O.) est à Montréal en vue de son combat de samedi contre Adonis Stevenson (21-1, 18 K.-O.). Il a rencontré les médias, hier, vêtu d'un complet gris. Il garde de son enfance à Tallahassee, en Floride, des souvenirs doux-amers et l'air de celui qui revient de loin.

«J'ai vu des fusillades, des gars se faire tirer, des dopés se faire battre, des descentes de police: la vie typique du hood, relate Cloud avec un riche accent du Sud. Ç'a fait de moi un meilleur boxeur. Parce qu'il faut avoir faim pour faire ce métier. Je voulais tellement sortir de mon milieu.»

Cloud a grandi dans un deux-pièces, élevé par sa mère. À un moment donné, 15 personnes vivaient dans leur petit appartement, «parce que la famille doit se tenir les coudes». Un jour, le réfrigérateur a été saisi. Pour le remplacer, la mère a rempli de glaçons un petit bain pour les pieds.

Le jeune Tavoris avait 16 ans quand il a quitté la maison. «C'était le temps de partir, le temps de commencer à travailler», affirme celui qui s'est mis à boxer après avoir aligné une série de petits boulots. «La boxe était ma seule façon de m'en sortir.»

Al Bonanni a commencé à entraîner Cloud dès son 5e combat professionnel. C'est sous sa férule que ce dernier est devenu champion du monde IBF des mi-lourds (175 livres) en 2009, récoltant au passage la réputation d'un cogneur. Avec Bonanni, Cloud a réussi quatre défenses de titre.

«J'ai appris tôt dans la vie que quand tu es au fond du baril, tout le monde se fout de toi. Ça m'a appris la valeur du travail», lâche Cloud.

Détroussé à Montréal

À quelques pas de lui, Al Bonanni raconte son propre parcours hors de l'ordinaire. Le gros entraîneur de 66 ans est le fils de deux immigrés siciliens. Son oncle s'est établi à Montréal, mais ses parents ont préféré Miami, parce que son père travaillait dans un casino à Cuba.

«Castro est arrivé et mon père a perdu son emploi. On a alors déménagé à New York. (Mon père) a fait de la prison et là, je suis devenu un délinquant, lance sans sourciller Bonanni. Un jour que mon père rentrait de prison, il m'a battu et je me suis enfui à Montréal.»

Bonanni avait 16 ans et 3000 $ en poche. «Je suis allé dans les clubs et les bars de danseuses sur Sainte-Catherine. Après trois jours, je me suis fait détrousser au couteau. Je ne savais pas où aller, alors je me suis ramassé à l'église Immaculée-Conception, sur Papineau.»

Le fugueur refusait obstinément de s'excuser auprès de son père. Il ne voulait pas rentrer è New York. «Je suis resté pendant 28 jours dans l'église. J'avais une chambre tout en haut et, le soir, ils barraient la porte. Le jour, je partais à vélo acheter des baguettes pour les prêtres et je faisais la vaisselle.»

Bonanni est finalement retourné à New York. Il est devenu un entraîneur de boxe réputé et a mené les destinées de 11 champions du monde.

Puis, l'hiver dernier, Cloud lui a subitement annoncé qu'il ne voulait plus travailler avec lui. À ce jour, les raisons de cette décision demeurent floues. Le légendaire promoteur Don King l'a aussi mis à la porte. «J'étais sous le choc. Je l'ai envoyé chier, Don King. Je l'ai envoyé chier plusieurs fois, on est amis depuis 1977.»

Bonanni s'est retrouvé, comme il l'explique, à manger du beurre d'arachide après s'être habitué au steak.

Avec son nouvel entraîneur, Cloud n'a livré qu'un combat. Il a perdu en mars dernier contre le vétéran Bernard Hopkins, par décision unanime. Cloud n'était plus champion du monde.

Pour le redevenir contre Adonis Stevenson samedi, il a rappelé Bonanni. Le vieil entraîneur a regagné son boxeur. Il a aussi été réadmis dans l'entourage de Don King. Il a pu retrouver le goût du steak.

Ensemble, les deux hommes vont tenter de remonter au sommet. «La boxe est comme une femme. On l'aime, mais on ne sait jamais comment elle va nous traiter», a déjà dit Bonanni, philosophe.

Pour eux, cette femme aura été généreuse et infidèle. Mais ils n'en aiment aucune autre. Qui sommes-nous pour les blâmer?