Mercredi dernier, au milieu de l'après-midi, la LNH annonce que Jaromir Jagr quitte Dallas pour Boston. Sur-le-champ, les téléphones portables des joueurs des Bruins commencent à vibrer: des demandes d'autographes affluent par textos.

Cette situation n'est pas exactement coutume dans le vestiaire, du moins pas depuis la conquête de la Coupe Stanley en 2011. Hormis devant le filet, les joueurs clés de la formation sont demeurés les mêmes, et l'entraîneur-chef Claude Julien n'a pas l'intention de voir ce noyau se dessouder avec l'arrivée du huitième meilleur pointeur de l'histoire de la LNH.

«C'est un joueur intelligent qui comprend bien la situation dans laquelle il se trouve, et c'est à lui de s'intégrer à notre équipe. Ce n'est pas nous qui devons nous ajuster», a tranché le pilote, samedi matin au Centre Bell.

Il faut dire qu'en Jagr, Julien rencontre un client particulier. Longtemps dépeint comme une prima donna, le Tchèque de 41 ans traîne encore, peut-être malgré lui, la réputation d'un joueur égocentrique. Avant son départ pour la KHL en 2008, la rumeur lui attribuait même des problèmes de jeu. Mais problèmes personnels ou pas, sa production offensive déclinait à vue d'oeil, passant d'une récolte de 123 à 71 points en deux ans.

Revenu en Amérique du Nord la saison dernière avec les Flyers de Philadelphie, il semble s'être débarrassé de ses démons et avoir retrouvé le goût du hockey. Et même si son coup de patin n'est plus celui de ses 20 ans, sa vision du jeu et ses talents de marqueur en font toujours une menace constante, comme en fait foi sa fiche de 15 buts et 27 points en 35 matchs jusqu'à présent cette saison.

«Il est connu pour sa personnalité particulière, mais cela ne veut pas forcément dire bizarre ou négatif, a commenté Claude Julien. C'est un gars qui a été aimé partout où il est passé, et c'est une des raisons pour lesquelles nous l'avons choisi. Il est respectueux envers tout le monde, et les gars le respectent beaucoup également.»

«Même s'il a un peu ralenti par rapport à ses beaux jours, il est encore très solide avec la rondelle, a poursuivi Julien. Il a marqué jeudi (victoire de 1-0 contre les Devils) parce qu'il a foncé vers le but. Voir aller un joueur de cet âge devrait envoyer un message aux jeunes.»

L'entraîneur-chef n'a par ailleurs pas caché que Jagr se verrait confier la mission de dynamiser l'avantage numérique des Bruins, 24e de la LNH à ce chapitre.

Changements rapides

Après avoir partagé ses 17 premières saisons professionnelles entre trois formations (Pittsburgh, Washington et New York), Jagr a déjà doublé son nombre de domiciles en un an et demi (Philadelphie, Dallas et Boston). Ces six équipes font d'ailleurs de lui le plus grand voyageur parmi les 10 meilleurs marqueurs de l'histoire, devant Wayne Gretzky et Ron Francis (quatre chacun).

Cette fin de carrière se révèle donc riche en changements, ce que le principal concerné semble accepter avec philosophie.

«C'est certain qu'il y a des ajustements à faire, mais de toute façon, le jeu lui-même change chaque année, a-t-il confié samedi à Montréal. Je sens que je dois constamment m'ajuster depuis que je suis revenu d'Europe, où tout est différent. Ça demeure du hockey, mais c'est un jeu différent avec les mêmes règles.»

Jagr change, lui aussi. Et il l'avoue ouvertement.

«Ne vous méprenez pas, j'aime encore marquer des buts, a-t-il dit à l'Associated Press la semaine dernière. Mais il y a des choses plus importantes, comme l'équipe elle-même et le fait de gagner en équipe.» Tout un virage pour celui qui, il y a 10 ans, déclarait qu'il voulait, tout simplement, être le meilleur joueur du monde.

Une idole

Ce gain en humilité n'enlève rien à la popularité de rockstar qui le poursuit, chez ses coéquipiers au premier chef.

«Nous sommes des professionnels, mais nous sommes avant tout des fans de hockey», a rappelé Tyler Seguin, qui est né environ un an et demi après les débuts du Tchèque dans la LNH.

«C'est en jouant avec lui qu'on réalise à quel point il est talentueux, a poursuivi le jeune homme. C'est un honneur pour Brad Marchand et moi de jouer sur son trio.»

Après une présence contre les Devils, Seguin se serait même excusé à Jagr de ne pas lui avoir passé la rondelle. Ce qui fait bien rigoler Claude Julien, bien que celui-ci préfère maintenant «stabiliser» sa formation en vue des séries éliminatoires.

«C'est une situation normale, mais je crois que tout le monde est déjà passé à autre chose», a noté l'entraîneur.

Ce à quoi acquiesce le numéro 68. «Les Bruins ont remporté la Coupe Stanley il y a deux ans: ils savent gagner. Je veux en profiter et les aider à atteindre leur but.»

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UNE CARRIÈRE EN CHIFFRES

1990: Débuts de Jaromir dans la LNH. Ses futurs coéquipiers Sean Couturier (Flyers) et Tyler Seguin (Bruins) n'étaient pas nés.

8: Jagr figure au 8e rang des marqueurs dans l'histoire de la LNH, avec 1680 points.

5: Championnats des compteurs, tous avec les Penguins.

2: Nombre de Coupes Stanley remportées.