La traque de la mystérieuse matière noire invisible qui formerait près d'un quart de l'Univers pourrait bientôt aboutir selon des physiciens citant les premiers résultats mercredi d'une expérience avec un instrument à bord de la Station spatiale internationale (ISS).

Ces chercheurs expliquent avoir observé l'existence d'un excès d'antimatière, d'origine inconnue, dans le flux des rayons cosmiques qui pourrait avoir résulté de l'annihilation de matière noire.

Ces résultats, publiés dans la revue Physical Review Letters, proviennent d'une expérience menée pendant 18 mois avec le spectromètre magnétique Alpha (AMS) attaché à l'ISS.

Les «résultats sont compatibles avec des positrons --une particule d'antimatière-- pouvant provenir de la destruction de particules de matière noire...», précise, dans un communiqué, le Cern (Organisation européenne pour la recherche nucléaire) à Genève.

«Mais ces observations ne sont pas encore suffisamment concluantes pour écarter d'autres explications», principalement un pulsar (une étoile à neutron), ajoute l'organisation.

«Avec davantage de données, nous allons apprendre plus quant à la nature de cet excès d'antimatière et avec de la chance nous pourrons faire une découverte très excitante», a par ailleurs déclaré dans une conférence de presse à Washington Michael Salamon, du département américain de l'Énergie.

«Si nous détectons de la matière noire et apprenons quelque chose de sa nature, nous aurons fait une avancée majeure dans notre compréhension de la physique», a-t-il ajouté.

«Nos résultats confortent l'existence de la matière noire, mais nous ne pouvons pas exclure l'origine d'un pulsar», a indiqué à la presse le physicien américain Samuel Ting, prix Nobel et professeur au Massachusetts Institute of Technology, qui dirige cette recherche.

Celui-ci avait auparavant déclaré dans un communiqué qu'«au cours des prochains mois, l'AMS pourra dire avec certitude si ces positrons sont bien la signature de matière noire ou autre chose».

Le professeur Ting est le concepteur de l'AMS, un instrument à 2,5 milliards de dollars et premier spectromètre magnétique envoyé dans l'espace.

Grand mystère de la physique moderne

Les équipes scientifiques européennes et américaines ont analysé quelque 25 milliards de particules, dont 400 000 positrons, avec des énergies variant de 0,5 à 350 Gigaelectronvolts.

La présence de matière noire dans notre univers n'est jusqu'à présent détectée qu'indirectement par ses effets gravitationnels.

Toutefois, la nature de cette matière furtive demeure l'un des plus grands mystères de la physique moderne.

La matière noire n'est pas formée de neutrons, de protons ou d'électrons du modèle standard de la physique décrivant la matière visible, qui ne représente que 4 à 5% de l'Univers.

Ce modèle n'inclut pas la gravité, une des principales forces du cosmos, d'où le besoin d'une théorie plus large et les indices de recherche les plus prometteurs pointent vers la matière noire, selon les physiciens.

Cette matière fantôme serait formée de particules exotiques de grande masse --six fois celle des particules ordinaires-- regroupées sous le nom de WIMP (Weakly interacting massive particles) qui ont de faibles interactions avec la matière visible.

Outre les 5% de matière visible et les 23% de matière noire formant le cosmos, les autres 72% correspondent à l'énergie sombre, une force qui expliquerait l'accélération de l'expansion de l'Univers.

L'idée de la matière noire est née il y a 80 ans lorsque l'astrophysicien américano-helvétique Fritz Zwicky a découvert qu'il n'y avait pas assez d'étoiles ou de masse dans les galaxies observées pour que la gravité puisse les tenir ensemble.

Les scientifiques comptent aussi sur le Grand Collisionneur de Hadron du Cern, plus grand accélérateur de particules au monde, dont la puissance devrait permettre de briser des électrons, des quarks ou des neutrinos pour débusquer la matière noire.