Les Jordaniens vont élire mardi leurs conseillers municipaux sur fond de ressentiment croissant envers les réfugiés syriens, qui pèsent sur leur économie déjà à la peine, lors d'un scrutin dont la participation s'annonce faible, selon des experts.

Le principal parti d'opposition, le Front de l'action islamique (FAI), vitrine politique des Frères musulmans, boycotte ces élections, en soulignant que le régime ne montre aucune volonté de réformes, malgré ses promesses répétées depuis le Printemps arabe.

Peu de candidats de l'opposition de gauche ou nationaliste se présentant, les représentants des tribus --sur lesquelles s'appuie traditionnellement la monarchie-- devraient largement remporter ce scrutin.

Mais durant la campagne, même les candidats loyalistes ont exprimé leur colère grandissante envers le gouvernement, qui se voit reprocher de ne pas aider suffisamment les villes à supporter le poids représenté par les quelque 500 000 réfugiés syriens accueillis par le royaume.

«Notre situation était déjà mauvaise avant qu'ils n'arrivent. Maintenant, nous avons besoin désespérément d'aide et le gouvernement ne fait pas ce qu'il devrait», déplore Amer Doghmi, candidat à Mafraq, une ville du nord du pays comptant habituellement 60 000 habitants, aujourd'hui submergée par des dizaines de milliers de réfugiés.

Le gouvernement et les responsables de l'ONU ont reconnu le poids que faisaient peser les réfugiés syriens sur l'économie, alors que le pays, quasi désertique, a des ressources en eau extrêmement limitées et dépend quasiment entièrement des importations pour l'énergie, mettant ses finances à rude épreuve.

Le déficit budgétaire devrait atteindre 2 milliards de dollars cette année et la dette extérieure s'élève à 23 milliards de dollars.

Face à cette situation, le gouvernement a annoncé une série de mesures d'austérité: il compte augmenter de 15% le prix de l'électricité, après avoir doublé en juillet les taxes sur les téléphones mobiles et les contrats d'abonnement.

Les Jordaniens, très affectés par ces hausses de prix, sont aussi en colère contre l'impact des réfugiés sur le marché du travail. Selon le ministère du Travail, plus de 160 000 réfugiés syriens travaillent en Jordanie, alors que le taux de chômage touche environ 14% de la population.

Selon des experts, ce ressentiment devrait se traduire par une faible participation et pourrait déclencher des troubles postélectoraux.

«La situation économique difficile dans le pays et les bouleversements dans la région, particulièrement la crise en Syrie et son impact en Jordanie, n'aident pas les citoyens à se concentrer sur les élections», souligne Oraib Rantawi, qui dirige le centre d'études politiques Al-Qods.

«En réalité, il n'y a pas de vrais programmes ou campagnes électorales à Amman et dans les autres grandes villes, tandis que dans les autres régions, la compétition est purement tribale», explique-t-il.

Les autorités ont exprimé leur crainte que le scrutin déclenche des heurts entre tribus rivales, une possibilité que confirme Mohammad Abou Roumman, du centre d'études stratégiques de l'Université de Jordanie.

«Je pense que le moment est mal choisi. Les gens s'intéressent plus à ce qui se passe en Égypte et en Syrie, sans parler de notre propre crise économique», dit-il.

En avril, des rivalités entre tribus avaient conduit à des heurts entre étudiants dans une université à Maan (sud), faisant quatre morts et plus de 25 blessés.

Le premier ministre Abdallah Nsour a exhorté les Jordaniens à voter. «Ne trouvez pas d'excuse pour négliger votre devoir», a-t-il lancé.

Les Frères musulmans --qui avaient déjà boycotté les législatives en janvier dernier après s'être retiré en 2007 des municipales en accusant le gouvernement de manipuler le vote-- ont affirmé de leur côté qu'ils ne prendraient plus «part à aucune élection».

«Nous ne sentons pas qu'il y a une réelle volonté de réforme et de changement», a affirmé à l'AFP le numéro 2 de l'organisation, Zaki Bani Rcheid.

Quelque 3,7 millions de Jordaniens sont inscrits pour le scrutin de mardi, visant à désigner 100 maires et 970 conseillers municipaux --dont 297 réservés aux femmes. Trois mille candidats concourent lors de ces élections.