Al-Qaïda en Irak claironnait mardi son retour en annonçant une grande offensive contre le gouvernement de Bagdad, une semaine après sa spectaculaire attaque contre deux prisons qui a permis la libération de centaines de prisonniers.

En revendiquant une série d'attentats qui a fait lundi près de 60 morts dans le pays, l'État islamique en Irak et au Levant (EIIL), nouveau nom d'Al-Qaïda en Irak, a annoncé mardi sur un site jihadiste sa nouvelle campagne, baptisée «la moisson des armées».

Les extrémistes sunnites liés à Al-Qaïda sont actifs en Irak depuis plus de 10 ans, et se sont montrés particulièrement virulents pendant le conflit entre sunnites et chiites en 2005-2006.

Mais à partir de 2008, les Américains ont affirmé que l'organisation était en perte de vitesse, que ses effectifs se limitaient à quelque 1.000 militants expérimentés, et que nombre de ses chefs étrangers avaient été tués ou étaient rentrés chez eux.

De fait, le bilan des attentats a baissé, jusqu'au printemps dernier lorsque la rancoeur de la minorité sunnite, au pouvoir sous Saddam Hussein, a débordé face à un gouvernement, contrôlé par les chiites, qu'elle accuse de vouloir monopoliser tous les pouvoirs.

«Al-Qaïda est dans une phase de reconquête» du pays qui passe par une mobilisation de plus en plus forte dans le nord du pays, une région allant de Bagdad au Kurdistan, estimait mardi un diplomate occidental.

«On repart vers le conflit armé» et plus seulement des attentats «terroristes», estime ce diplomate qui qualifie la prise d'assaut de la prison d'Abou Ghraib, à l'ouest de la capitale, de «véritable» opération militaire de grande envergure.

Celle-ci s'est traduite par la libération de 500 à 1000 détenus, selon les sources, dont des chefs d'Al-Qaïda que l'organisation voulait à tout prix récupérer.

«Al-Qaïda et tous les groupes sunnites ont montré une capacité d'action qu'on ne leur connaissait pas», constate le diplomate.

Et l'organisation qui communiquait peu jusqu'à présent se met soudain à revendiquer ses attaques.

«Al-Qaïda a trouvé un terrain propice à son retour», estime Kenneth Katzman, spécialiste américain des questions irakiennes auprès du service de recherche du Congrès à Washington.

«Il gagne en puissance du fait de la rébellion sunnite» sur laquelle il s'appuie, et du fait de «l'affaiblissement des services de sécurité irakiens» depuis le départ des troupes américaines à la fin 2011, dit-il.

Ses succès récents lui ont permis de recruter de nouveaux militants et de s'assurer du soutien d'autres groupes extrémistes sunnites, ajoute-t-il.

Par ailleurs, la guerre en Syrie «donne une énergie nouvelle à Al-Qaïda en Irak» et encourage les sunnites à défier à la fois Bagdad et Damas dans un combat commun contre les chiites, perçus comme étant à la botte de l'Iran, souligne-t-il.

Les sunnites, qui ne représentent pas plus de 35% de la population, n'ont aucune chance de renverser le gouvernement de Bagdad, selon M. Katzman. Mais ils pourraient être tentés par une partition du pays et par un rapprochement des territoires sunnites de part et d'autre de la frontière irako-syrienne.

«Pour nombre de personnes dans le monde arabe, la guerre civile en Syrie et la guerre civile en Irak sont tout simplement les deux fronts d'un même conflit, une lutte entre chiites et sunnites pour le coeur du monde islamique», estime pour sa part Kenneth Pollack, un spécialiste américain du Moyen-Orient, dans une étude que vient de publier l'Institut Brookings.

Le ministère de l'Intérieur irakien ne s'y trompe pas à un moment où le bilan des victimes dépasse le seuil des 800 pour le seul mois de juillet. Lundi, il a appelé les citoyens «à soutenir» les forces de sécurité pour combattre les violences.

L'Irak est confronté «à une guerre ouverte menée par des forces confessionnelles sanguinaires qui visent à plonger le pays dans le chaos», a affirmé le ministère dans un communiqué.

Le secrétaire général des Nations unies Ban Ki-moon a estimé pour sa part que l'Irak était «au bord du gouffre».

«Il revient à ses dirigeants politiques (...) de ne laisser aucune marge de manoeuvre à ceux qui tentent d'exploiter le blocage politique à travers la violence et la terreur», a-t-il affirmé lundi par l'intermédiaire de son porte-parole.