L'ex-magnat du pétrole et contradicteur du Kremlin Mikhaïl Khodorkovski a vu mardi sa peine de onze ans de prison réduite de deux mois par la Cour suprême russe, devant laquelle il a critiqué les procès «honteux» et politiquement motivés en Russie.

La Cour suprême a décidé de réduire la peine de M. Khodorkovski et celle de son associé Platon Lebedev, emprisonnés depuis 2003, à dix ans et dix mois de prison. L'ex-dirigeant du groupe pétrolier Ioukos sortira de prison en août 2014.

«Il serait honteux de légaliser ce jugement par la décision de la Cour suprême», a lancé lors de l'audience l'ex-homme le plus riche de Russie, portant des habits noirs de prisonnier, qui est intervenu par visio-conférence depuis la colonie de Segueji, dans le nord-ouest de la Russie.

M. Khodorkovski et son associé, détenus depuis 2003, avaient été condamnés en 2005 pour escroquerie et fraude fiscale à huit ans de camp.

Cette peine a été portée à 14 ans en décembre 2010 à l'issue d'un second procès pour vol de pétrole et blanchiment de 23,5 milliards de dollars, un total ensuite réduit d'un an, puis de deux ans en appel.

Le père de M. Khodorkovski, Boris, s'est dit déçu. «Je ne suis pas heureux, j'ai honte pour le tribunal», a-t-il déclaré à l'AFP.

«Je m'attendais à cela. Ce ne sont pas des juges, ce sont des fonctionnaires, des marionnettes en robes noires qui répètent ce qu'on leur dit en haut», a renchéri sa mère, Marina.

La défense des deux hommes, qui réclamait l'annulation de la deuxième condamnation et leur libération «immédiate», a déclaré qu'elle allait faire appel devant le Présidium, la plus haute instance de la Cour suprême.

«Nous allons continuer la lutte. Pour l'instant, la loi, la justice n'ont pas commencé à fonctionner dans cette affaire», a déclaré l'avocat Vadim Kliouvgant.

Profitant de ce nouveau procès, M. Khodorkovski a violemment critiqué l'utilisation des forces de l'ordre russes pour lutter contre les opposants du régime.

«Depuis l'affaire Ioukos, le parquet et le comité d'enquête sont devenus avec la télévision les principaux instruments de la politique intérieure», a-t-il lancé.

«Qu'il s'agisse de l'économie, des élections ou même de la religion, les mots "l'enquête criminelle est ouverte" sont devenus une expression clé», a-t-il poursuivi.

«Le résultat est à mon avis catastrophique. Ce sont des procès retentissants et politiquement motivés comme le mien qui ouvrent la voie à une justice sélective et absurde», a-t-il insisté.

La justice russe est régulièrement accusée par les défenseurs des droits de l'homme de délivrer des jugements basés sur des motivations politiques, comme lorsqu'elle a condamné en 2012 les membres du groupe Pussy Riot pour une «prière punk» contre Vladimir Poutine dans la cathédrale du Christ-Sauveur à Moscou, ou, le mois dernier, l'opposant Alexeï Navalny pour une escroquerie, une affaire selon lui fabriquée.

«Les décisions de justice injustes sont devenues l'un des principaux détonateurs des protestations» contre le régime du président Vladimir Poutine, a observé M. Khodorkovski.

Fin juillet, il a remporté une victoire symbolique contre Moscou à la Cour européenne des droits de l'homme (CEDH), son premier procès ayant été jugé «inéquitable» par les juges de Strasbourg.

La CEDH n'a toutefois pas reconnu la motivation politique de cette condamnation.

Malgré cette décision prise à Strasbourg et «en comprenant l'absurdité du deuxième (procès), certains fonctionnaires rêvent d'un troisième procès. Ils jugent que 10 ans (en prison) ne suffisent pas», a-t-il lancé.

Les médias russes évoquent ces dernières semaines la possibilité d'un troisième procès contre M. Khodorkovski, les télévisions proches du pouvoir ayant diffusé des documentaires insinuant que l'ex-oligarque était responsable de l'assassinat en 1998 du maire d'une petite ville de Sibérie occidentale.

Avant son arrestation, M. Khodorkovski, outre un lobbying intense des intérêts de Ioukos au Parlement, finançait l'opposition russe et une puissante fondation dédiée au développement de la société civile.

Ses ennuis judiciaires avaient coïncidé avec la volonté affichée par Vladimir Poutine, arrivé au pouvoir en 2000, de mettre au pas les «oligarques» très influents au Kremlin dans les dernières années de la présidence de son prédécesseur Boris Eltsine.