Le conducteur du train qui a déraillé à Saint-Jacques-de-Compostelle, faisant 79 morts, était entendu dimanche par un juge, accusé «d'homicide par imprudence», pendant que la ville de pèlerinage, parsemée de fleurs et de bougies, se préparait à rendre hommage aux victimes.

En garde à vue depuis jeudi, Francisco José Garzon Amo, âgé de 52 ans, est arrivé à 18h20 (16h20 GMT) au tribunal, menottes aux poignets, pour être entendu par le juge Luis Alaez.

L'homme aux cheveux gris, le front encore marqué d'une cicatrice, avait pris place à l'arrière d'une voiture de police pour être conduit depuis le commissariat où il avait été transféré samedi, après sa sortie de l'hôpital.

Tandis que deux enquêtes, l'une judiciaire et l'autre administrative, ont été ouvertes, les autorités mettaient en cause ce cheminot à la longue expérience professionnelle, accusé «d'homicide par imprudence» pour ne pas avoir freiné à temps à l'entrée d'un tronçon où la vitesse autorisée passe de 220 à 80 km/h.

Le bilan de la catastrophe s'est alourdi dimanche à 79 morts, après le décès d'un blessé. Une fois identifiés les corps, Saint-Jacques-de-Compostelle commençait à panser ses plaies, avant les funérailles solennelles prévues lundi soir.

Déposant dans la cathédrale ou sur la grande place de l'Obradoiro, qui lui fait face, des fleurs, des bougies ou des petits mots anonymes, des pèlerins venus d'Espagne et de l'étranger partageaient la douleur des habitants et des familles.

Raquel Escobar, une jeune fille blonde de 19 ans qui habite la région, a parcouru à pied les derniers kilomètres du chemin de Saint-Jacques.

«Nous avons décidé de mettre un ruban noir et d'aller déposer un bouquet de fleurs et des bougies», confiait-elle. «Nous avons décidé d'arriver sur la place avec un peu de sérieux, nous ne savions pas comment nous allions trouver les gens d'ici, nous voulions nous mettre dans leur peau, ce n'est jamais facile de perdre un proche».

L'accident s'est produit mercredi à 20H42 (18H42 GMT) au moment où le train en provenance de Madrid abordait un virage très serré à quatre kilomètres de Saint-Jacques-de-Compostelle.

À cet endroit, la voie n'est pas équipée d'un système de freinage automatique si le train dépasse la limite de vitesse.

Selon la feuille de route du train, dont le journal El Mundo reproduisait dimanche un extrait, le convoi, en arrivant dans le délicat virage de A Grandeira, devait quitter un tronçon où il était autorisé à rouler à 220 km/h pour réduire sa vitesse à 80 km/h.

Mais, souligne le journal, «le fait surprenant est que cet itinéraire laisse le conducteur décider du moment et de la manière de commencer à décélérer. C'est-à-dire que Garzon devait décider quand freiner pour entrer dans le virage à 80 km/h. Rien ne lui disait comment ni où le faire».

Que s'est-il passé dans la cabine de pilotage juste avant 20H42? Le conducteur, qui exerce ce métier depuis 2003 et avait déjà parcouru 60 fois cette ligne, s'est-il laissé distraire?

Selon un riverain, Evaristo Iglesias, arrivé sur les lieux juste après la catastrophe, le conducteur, blessé, a alors raconté qu'il n'avait pas réussi à freiner parce que le convoi «allait trop vite».

«Il disait qu'il aurait dû freiner et réduire sa vitesse à 80 km/h, mais qu'il n'avait pas pu, qu'il allait trop vite», a témoigné cet homme sur la télévision Antena 3.

«Déjà, quatre kilomètres avant le lieu de l'accident, il s'est vu notifier de commencer à ralentir», avait souligné samedi le président du gestionnaire du réseau Adif, Gonzalo Ferre.

El Mundo affirmait, citant des sources proches de l'enquête, que le conducteur parlait au téléphone portable au moment du drame.

Mais dans la petite ville galicienne de Monforte de Lemos, où vit le cheminot, certains de ses proches voulaient le défendre.

«C'est un excellent professionnel. C'est le premier accident qu'il ait jamais eu. Il n'a jamais commis la moindre faute», a témoigné Antonio Rodriguez, un délégué syndical qui a rejoint la Renfe, la compagnie de chemin de fer, la même année que Garzon, en 1982.

Deux éléments jouent en la défaveur du conducteur: une retranscription d'une communication radio, révélée par le quotidien El Pais, dans laquelle il admet qu'il circulait à 190 km/h au lieu de 80 km/h, et une vidéo de quelques secondes diffusée sur l'internet, semblant provenir d'une caméra de sécurité et montrant un train fou, surgissant à l'entrée du virage avant de sortir des rails et de se coucher sur le côté.

Soixante-dix blessés étaient toujours hospitalisés dimanche, dont 22 dans un état grave.