La police italienne a mené vendredi deux vastes opérations anti-mafia, l'une à Rome et l'autre en Calabre, berceau de la «Ndrangheta», visant au total une centaine de personnes, dont des entrepreneurs, des avocats et même un sénateur.

À Rome, l'opération baptisée «Nouvelle aube» par opposition à «la longue nuit» que la mafia a imposée à la Ville éternelle, a permis de donner «un coup mortel à la cellule mafieuse opérant depuis des années dans la capitale», affirme la police dans un communiqué.

L'opération, «l'une des plus vastes jamais conduites à Rome», a visé 51 personnes qui menaient des «activités illicites» dans la capitale même et sur son littoral à Ostie, a précisé à l'AFP un porte-parole de la police, Mario Viola. Six d'entre elles se trouvaient déjà entre les mains de la police avant l'opération tandis que toutes les autres ont été arrêtées.

Trafic de drogue, usure, extorsion de commerçants, contrôle du marché des machines à sous, infiltration dans les appareils administratifs pour l'octroi de logements sociaux, contrôle d'activités balnéaires sur les plages d'Ostie.... La palette des activités de ces clans était vaste.

Selon la police, des clans considérés comme «le Saint des Saints du crime romain et sicilien» ont été ciblés. «L'organisation était composée de deux grandes familles mafieuses, les Fasciani et les Triassi, qui sont liées à Cosa nostra», la mafia sicilienne, a expliqué à la presse le chef des opérations, Renato Cortese.

«Pax mafiosa»

Grâce à des écoutes téléphoniques, les enquêteurs ont pu établir comment «depuis pratiquement vingt ans, les membres des clans Fasciani et Triassi se répartissaient le territoire dans une sorte de «pax mafiosa», au sein de laquelle chacun pouvait mener tranquillement ses trafics illicites».

«Alors que les Fasciani obtenaient le contrôle du territoire, forçant les commerçants à payer le «pizzo» (NDLR, «l'impôt» extorqué par la mafia) dans la zone d'Ostie, les Triassi avaient le monopole du trafic de drogue et d'armes», a précisé Giuseppe Pignatone, chef du Parquet.

Les entrepreneurs qui refusaient de s'acquitter du pizzo - seulement un sur dix selon la police - étaient l'objet de violentes intimidations. Et si l'un d'entre eux n'était pas en mesure de payer, les mafieux lui «prêtaient» de l'argent à des taux prohibitifs, «l'ultime objectif étant de s'approprier le business» de la victime. Vendredi, 16 commerces - restaurants et centres de location de voitures - ont été séquestrés.

Les enquêteurs ont pu suivre «toutes les étapes criminelles de l'organisation mafieuse» : de l'entrée d'un nouvel impétrant aux accords entre chefs pour la répartition du territoire, en passant par les différentes réunions pour régler les problèmes nés de la gestion du territoire. Mais aussi la planification d'homicides «nécessaires pour garantir et maintenir la suprématie» sur certaines activités.

«Nous devons penser à notre avenir et celui de nos amis», dit ainsi le «boss» du clan Fasciani dans une conversation téléphonique interceptée.

À Rome, quelque 500 policiers ont participé à l'opération, avec un hélicoptère, des unités cynophiles et des patrouilles de la police maritime.

L'opération a été menée jusqu'en Espagne avec l'arrestation d'un des chefs historiques de la famille Triassi, sur l'île de Tenerife et deux autres mafieux à Barcelone.

«Ce premier coup dur» infligé à la mafia à Rome a été salué par l'association Libera, qui y a vu le signe que la mafia n'est pas seulement «infiltrée, mais ancrée» dans le Latium, la région de Rome, «devenue un des points névralgiques du trafic de drogue».

La seconde opération, «totalement distincte», a visé 65 personnes à Lamezia Terme, dans la région de Catanzaro, en Calabre. Parmi elles, «des entrepreneurs, des politiciens et des avocats», a indiqué Mario Viola, ainsi que des médecins et des personnels de l'administration pénitentiaire.

Un sénateur du parti de Silvio Berluconi, le PDL, Piero Aiello, fait l'objet d'une enquête pour avoir «acheté» des voix aux élections par l'intermédiaire de la mafia, tandis qu'un membre du même parti, conseiller provincial et actuel vice-président de la société de gestion de l'aéroport de Lamezia Terme, a été arrêté.

Outre le délit d'association mafieuse, certaines personnes arrêtées sont accusées d'homicides perpétrés dans le cadre d'une guerre interne à la mafia, entre 2005 et 2011.

La «Ndrangheta», qui trouve son origine en Calabre, mais a essaimé dans le nord de l'Italie ces dernières années, est la plus active et violente des quatre organisations criminelles italiennes, les trois autres étant Cosa Nostra (Sicile), la Camorra (Naples) et la Sacra Corona Unita (Pouilles).

La «brillante opération» de la police de Catanzaro «donne des frissons», a commenté Sonia  Alfano, présidente de la Commission anti-mafia européenne. Pour elle, «les collusions entre mafia, politique, et milieux d'affaires constituent la véritable force des mafias. Tant que ces liens seront maintenus, il sera difficile d'en sortir».