Les États-Unis ont dénoncé mercredi le bain de sang en Égypte, qui met Washington de plus en plus dans l'embarras après son soutien de facto au coup d'État contre Mohamed Morsi.

Le secrétaire d'État John Kerry, qui avait semblé il y a deux semaines approuver le renversement le 3 juillet par l'armée du premier président civil élu en Égypte, est venu devant la presse «condamner avec force la violence et l'effusion de sang d'aujourd'hui en Égypte». Il a fustigé une répression «lamentable» contre les partisans de M. Morsi, un «grave coup porté à la réconciliation et aux espoirs du peuple égyptien pour une transition démocratique».

Après un mois de poussée de fièvre, près de 280 personnes sont mortes dans la dispersion sanglante de manifestations pro-Morsi. Le Caire a décrété l'état d'urgence auquel la Maison-Blanche s'est dite «opposée».

M. Kerry a réclamé la relance du processus démocratique pour lequel «le gouvernement intérimaire et l'armée ont la responsabilité (...) de proposer la refonte de la Constitution et l'organisation d'élections législatives et présidentielles» en 2014.

En revanche, le chef de la diplomatie américaine, qui a plusieurs fois ces derniers mois exprimé son soutien à l'armée égyptienne, n'a pas dit un mot de l'assistance militaire annuelle de 1,3 milliard de dollars que Washington verse au Caire. «Nous révisons en permanence notre relation (avec l'Égypte). Cela inclut l'aide, mais je n'ai rien à annoncer», a coupé court la porte-parole du département d'État Jennifer Psaki, refusant en outre de parler de «guerre civile» en Égypte.

Face à la crise de leur allié, les États-Unis sont dans l'embarras depuis le Printemps arabe et le renversement de Hosni Moubarak en février 2011. Pour des experts, les Américains sont «pris en étau» depuis deux ans et demi entre les Frères musulmans du président destitué Morsi et les «anti-islamistes libéraux» emmenés par l'armée qui ont repris le pouvoir à la faveur du coup d'État.

Washington assure officiellement ne pas prendre parti.

«Les Américains sont coincés»

«Les États-Unis se trouvent dans une situation extrêmement délicate parce qu'ils ont en fait très peu d'influence et de moyens de pression», pointe Hussein Ibish, chercheur à l'American Task Force on Palestine.

Allié pendant 30 ans du régime autoritaire et pro-occidental Moubarak, Washington est depuis 2011 face à un dilemme: comment soutenir les aspirations démocratiques d'une partie des Égyptiens tout en ménageant les autorités d'un de ses proches partenaires du monde arabe, lié de surcroît à Israël par un traité de paix.

«Les Américains sont coincés entre les Frères musulmans et les anti-islamistes (...) et ont le sentiment de ne pas avoir d'alliés naturels», tant du côté des militaires que des islamistes, explique M. Ibish à l'AFP.

Sous l'ère Morsi, la diplomatie américaine a marché sur des oeufs, prônant la démocratisation et le développement de la «nouvelle Égypte» islamiste. En mars, John Kerry avait déposé au Caire un chèque de 250 millions de dollars d'assistance économique.

Deux mois plus tard, il avait aussi débloqué le 1,3 milliard de dollars d'aide militaire, faisant de l'armée égyptienne la deuxième récipiendaire de l'assistance américaine, après Israël. C'est le «meilleur investissement que l'Amérique ait réalisé dans la région», avait lancé M. Kerry.

Dans le même temps, il s'inquiétait de la «trajectoire» autoritaire du régime Morsi et on laissait entendre à Washington qu'une intervention des militaires était dans l'air.

D'ailleurs le 1er août au Pakistan, M. Kerry avait déclaré avec fracas que l'armée égyptienne avait poussé Morsi dehors pour «rétablir la démocratie». Il avait ensuite pédalé en réclamant des élections «démocratiques».

Le gouvernement américain évite toujours soigneusement de parler de «coup d'État» contre M. Morsi, afin de ne pas devoir couper son aide au Caire: la loi impose en effet la suspension de l'assistance non humanitaire en cas de renversement de civils par des militaires.

Le sénateur républicain John McCain n'avait pas hésité à parler de «coup d'État» et a égratigné mercredi John Kerry dans un tweet: «Comme prévu et redouté, c'est le chaos au Caire. Le ministre Kerry louant la prise de pouvoir des militaires n'a pas aidé».