Alors qu'une majorité de Québécois se disent en faveur de son rétablissement, la peine de mort est de moins en moins utilisée chez nos voisins américains. Même au Texas, qui exécutera bientôt son 500e condamné, la peine capitale recule. Du couloir de la mort au salon des victimes, la chroniqueuse Rima Elkouri et la vidéaste Ninon Pednault ont rencontré des Texans qui font changer d'avis l'Amérique.

Dans le couloir de la mort, Rima Elkouri a interviewé Hank Skinner, qui clame son innocence depuis près de 20 ans. À trois reprises, cet homme a obtenu un sursis in extremis. Une fois, il l'a su 23 minutes avant l'heure fatidique. Entre la France et le Texas, sa femme, qu'il n'a jamais pu serrer dans ses bras, s'est battue pour des tests d'ADN qui pourraient l'innocenter. Mais la machine à tuer texane, même lorsqu'elle ralentit, n'est pas simple à arrêter.

Nous avions rendez-vous dans le couloir de la mort. La mort est à la prison de Huntsville, là où le Texas a procédé à près de 500 exécutions depuis 1976. Le couloir, lui, est à Livingston, dans une prison à sécurité maximale cernée de barbelés. Là, 272 prisonniers attendent leur exécution.

Entre les deux, 70 km d'une route belle à pleurer. Un pont qui enjambe un lac immense aux eaux opaques. Des chevaux crinière au vent. Des arbres qui grattent le ciel sous une lumière irisée.

Cette route, le condamné à mort Henry Watkins «Hank» Skinner l'a déjà empruntée. Trois fois, on lui a indiqué la date de sa mort. Trois fois, son exécution a été suspendue au dernier moment. Le 24 mars 2010, il a appris qu'un sursis lui avait été accordé 23 minutes avant l'injection létale prévue.

Le jour de notre visite, le vent était froid et furieux. En arrivant à la guérite de la prison, une gardienne nous a demandé de sortir de la voiture. Contrôle d'identité. Inspection du coffre. Inspection du moteur. «OK, allez-y.»

C'était la première fois que je mettais les pieds dans le couloir de la mort. Mais en arrivant, une étrange impression de déjà-vu. Cette rangée de cages de visite à la peinture écaillée d'un blanc blafard. Cet alignement de téléphones noirs, usés par le temps, les drames, les larmes. Ces vitres pare-balles qui séparent le couloir de la mort du couloir de la vie. C'était comme dans les films. À tout moment, Sean Penn aurait pu surgir dans la peau du condamné de Dead Man Walking. Une voix aurait pu crier «Coupez!»

Personne n'a crié. Il n'y a que l'écho des portes grinçantes et des grilles qui s'ouvrent et se ferment avec fracas. En ce mercredi après-midi, le seul moment de la semaine où des entrevues sont accordées au compte-gouttes aux médias, le parloir est désert.

La cage numéro 34

Ce sera le numéro 34, a indiqué le porte-parole de la prison, en désignant la cage où le condamné à mort pourra s'approcher du monde extérieur sans jamais y toucher.

Je me suis approchée de la cage. Hank Skinner nous y attendait, le regard sombre, fixant le vide. Combinaison blanche, sans manches. Yeux cernés. Bras droit recouvert d'un tatouage. Entre lui et moi, une vitre pare-balles. Derrière lui, une porte grillagée avec une fente dans le bas pour lui passer les menottes.

Mon regard a croisé le sien. Je lui ai souri. Il m'a souri. J'ai décroché le téléphone pour pouvoir entendre sa voix. Une gardienne de sécurité lui a donné le micro sans fil que Ninon, ma collègue vidéaste, avait apporté afin de pouvoir filmer et enregistrer l'entrevue.

La mort dans 23 minutes

La veille de notre rencontre, à Huntsville, une condamnée à mort, Kimberly McCarthy, avait obtenu un report de son exécution quelques heures avant le rendez-vous programmé pour sa mise à mort.

«Elle a eu un report? Non, je ne savais pas. On n'a accès à aucun appareil électronique ici. Ma femme Sandrine imprime les nouvelles et me les envoie par la poste...»

Hank Skinner me dit qu'il est content pour Kimberly McCarthy. Il sait ce que c'est que d'obtenir un sursis in extremis. «Mais moi, c'était pas des heures, c'était 23 minutes!

- C'est une forme de torture, non?

- Oui, c'est exactement ce que je me disais.»

Il a ri d'un rire nerveux, avant de raconter en détail ce fameux 24 mars 2010 où il était convaincu qu'il allait être exécuté. «J'y allais avec l'intention de mourir.»

Il avait donc fait la route de Livingston à la chambre de mort de Huntsville en croyant que c'était son dernier jour. Il avait commandé un dernier repas, gargantuesque. Il me l'a décrit à la frite près.

Il avait vu l'aumônier. Il avait fait ses adieux à sa femme Sandrine et à ses filles.

Il avait peur. Pas peur de la mort, non. Mais peur de cette mort-là, par injection létale. Peur de ce cocktail chimique qui allait envahir ses veines. L'un des produits utilisés est banni par l'Association des vétérinaires américains. Trop cruel pour tuer des animaux, dit-on, à cause de son effet paralysant qui masque la souffrance. Dans la chambre d'exécution, il est utilisé pour le bien des témoins qui, autrement, auraient à endurer une vision d'horreur: un être qui se débat comme un poisson hors de l'eau au moment où on lui injecte la mort.

«Ma grande peur, c'est que ça prenne 10 minutes avant qu'ils me tuent. Si vous êtes paralysé dans votre propre corps, c'est la pire façon de mourir.

«Je ne veux pas mourir comme ça. En particulier pour quelque chose que je n'ai pas fait.»

Une saison en enfer

Pour survivre dans le couloir de la mort, Hank Skinner rédige de sa cellule un bulletin de nouvelles qu'il a appelé The Hell Hole News. Des nouvelles du trou de l'enfer.

Sa saison en enfer a commencé la nuit du réveillon du 31 décembre 1993. Cette nuit-là, un triple meurtre a secoué Pampa, une petite ville du nord du Texas. Les victimes : Twila Busby, la compagne de Hank Skinner, et les deux fils adultes de celle-ci.

Hank Skinner avait 31 ans. Il travaillait à l'époque comme assistant parajuridique, pour défendre des citoyens victimes d'abus de pouvoir. Un gars qui aimait faire la fête, peu apprécié par le shérif et le juge qu'il accusait d'être corrompus.

Le 31 décembre, Hank Skinner était rentré du travail vers 15h30. Il s'apprêtait à réveillonner avec Twila. Il avait bu. Il avait aussi pris de la codéine. Il était si intoxiqué qu'il n'a pu aller avec Twila à la fête organisée chez des amis.

Cette nuit-là, Twila et ses deux enfants ont été assassinés dans la maison familiale. Twila a été étranglée et battue à mort. Ses fils ont été poignardés. Avant même que la scène de crime soit analysée, les policiers ont décrété que Hank Skinner, qui a toujours clamé son innocence, était le meurtrier. Sur la foi de preuves circonstancielles, il a été accusé et jugé coupable. Il fut condamné à mort en 1995.

En 2000, le professeur de journalisme David Protess du Medill Innocence Project s'intéresse au dossier de Hank Skinner. Il l'épluche minutieusement. Il se dit que quelque chose cloche. Trop de zones d'ombre et d'incohérences. Il envoie ses étudiants sur le terrain. Une contre-enquête met en lumière des faits troublants: pas d'aveux, pas de témoin visuel des meurtres, pas de mobile apparent, pas de tendances violentes chez le condamné... De nouveaux témoignages soulèvent de sérieux doutes. Ils pointent vers un suspect potentiel que la police n'a jamais interrogé: l'oncle de la victime qui l'aurait déjà agressée.

La nuit du drame, cet oncle aurait fait des avances à Twila, la poussant à quitter plus tôt que prévu la fête où elle était allée sans Hank. Des indices indiquent que l'oncle l'aurait suivie et était dans la maison la nuit du crime. Le lendemain, il aurait été vu en train de laver son pick-up. Il portait souvent un coupe-vent semblable à celui qui a été trouvé, taché de sang, près du corps de sa nièce. Étrangement, ce coupe-vent n'a pas fait l'objet de tests d'ADN. Les enquêteurs disent aujourd'hui l'avoir perdu.

David Protess est monté au créneau pour forcer le procureur à faire les tests d'ADN qui s'imposaient dans les circonstances, pour s'assurer que le Texas n'exécute pas un innocent. Ce sera le début d'une longue bataille, qui sera menée avec l'aide du Innocence Project, une organisation qui a permis, grâce à des tests d'ADN, d'innocenter plus de 300 prisonniers victimes d'erreurs judiciaires depuis 1989 aux États-Unis, dont 18 dans le couloir de la mort.

Pendant plus de 10 ans, le Texas a tout fait pour empêcher que des éléments clés du dossier de Hank Skinner soient soumis à des tests d'ADN qui pourraient l'innocenter, selon Rob Owen, son avocat, professeur à l'École de droit de l'Université du Texas à Austin.

Le 24 mars 2010, à moins d'une heure de la mise à mort de Hank Skinner, la Cour suprême des États-Unis est intervenue pour stopper son exécution, acceptant d'étudier une requête pour que des tests d'ADN soient faits. L'État s'est finalement résigné. De nouveaux tests, dont on attend encore l'analyse complète, ont été exigés. Le procureur soutient que des analyses partielles incriminent davantage Hank Skinner. La défense souligne que les résultats révèlent la présence sur l'arme du crime d'un profil ADN inconnu mais partiel, qui n'est pas celui de Hank Skinner ou des victimes. Cet ADN serait-il celui du tueur?

«La seule chose qu'ils ont prouvée, c'est que j'étais là», répète Hank Skinner. Un fait qu'il n'a jamais nié. Il était là, mais il était si intoxiqué qu'il avait perdu connaissance, dit-il. «Le sang des victimes n'est pas sur mes mains. Ils savent que je suis innocent.»

Pas des monstres

La saison en enfer de Hank Skinner dure ainsi depuis plus de 18 ans. Il tutoie la mort au quotidien. L'État texan a exécuté 400 prisonniers depuis qu'il est dans le couloir de la mort.

Ces morts ont quelque chose d'irréel pour les condamnés qui restent. «On ne les voit pas mourir. Mais quand la camionnette part, on sait. Ils ne font que disparaître.»

«Chaque fois qu'ils en tuent un, ils tuent une partie de moi.»

Contrairement à ce que l'on aimerait croire, les prisonniers du couloir de la mort sont des êtres humains, pas des monstres, dit-il. «Croyez-le ou non, il n'y a pas de Hannibal Lecter dans cet endroit. Juste des gens comme vous et moi.»

Après l'entrevue, Ninon a pris une photo du condamné derrière sa vitre. Sur l'écran de son appareil numérique, elle lui a montré le résultat. Il a regardé la photo, puis a levé les yeux vers moi. «Elle a réussi à me rendre humain, a-t-il lancé, l'air ému. Pouvez-vous croire ça?»

Les 45 minutes permises pour l'entrevue étaient écoulées. Hank Skinner a été reconduit à sa cellule de deux mètres sur trois. Nous avons quitté le couloir de la mort.

Le ciel était bleu. Le vent était furieux. Derrière les barbelés, le drapeau des États-Unis flottait au vent.

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Tuera-t-on un innocent? Le cas Skinner vu par des experts

Rick Halperin est directeur du programme Embray Human Rights de l'Université Southern Methodist, à Dallas. Surnommé «Monsieur Abolition», il fut l'un des pionniers de la lutte contre la peine de mort au Texas, notamment avec Amnistie internationale.

Le cas de Hank Skinner, qui a obtenu trois sursis in extremis, est-il exceptionnel?

Non. Cela arrive tout le temps. Ce qui est arrivé à Hank Skinner n'a rien d'inhabituel. La raison pour laquelle il a obtenu ce sursis est plus inhabituelle - on voulait plus de preuves ADN. La peine de mort est une forme de torture. C'est un processus de torture mentale, physique et psychologique.

Croyez-vous que Hank Skinner soit innocent?

Je crois qu'il est innocent. Mais je ne pense pas que cela change quoi que ce soit. Mon intuition, c'est que Hank va être tué. J'espère que ce ne sera pas le cas. J'espère que les preuves ADN montreront qu'il est innocent. Mais même si elles le prouvent... Nous avons déjà tué des gens innocents. C'est légal de tuer des gens innocents aux États-Unis. Il y a une décision de la Cour suprême qui le dit!

Le 2 juillet 1976, la Cour suprême rendait la peine de mort de nouveau légale aux États-Unis. C'est aussi la dernière fois que vous avez célébré votre anniversaire...

Pour moi, c'est un jour national de honte. Je ne célèbre plus mon anniversaire, car pour moi, cela signifie juste une autre année où l'Amérique continue à tuer des gens légalement. La peine de mort, selon moi, n'est pas une question de droits humains parmi tant d'autres. C'est LA question des droits humains numéro un dans tous les pays qui l'ont ou qui l'utilisent. C'est la question de droits humains fondamentale autour de laquelle tournent toutes les autres causes. Tant qu'un pays a la peine de mort et l'utilise comme le font les États-Unis, personne dans ce pays n'est libre. Il n'y a pas de liberté quand un État peut vous tuer.

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Nina Morrison du Innocence Project, qui a soutenu et conseillé l'équipe d'avocats de Hank Skinner dans son combat pour obtenir de nouveaux tests d'ADN.

Selon le Innocence Project, Hank Skinner est-il innocent?

Nous ne savons pas si M. Skinner est innocent. Toutefois, nous savons que les tests d'ADN peuvent être un outil incroyablement puissant pour déterminer si quelqu'un est innocent ou pas. Les personnes qui se retrouvent devant la justice criminelle - particulièrement celles qui sont dans le couloir de la mort - devraient avoir le droit de faire analyser tous les éléments de preuve de la scène de crime pour prouver leur innocence.

Comme nous l'avons vu plusieurs fois, il est impossible de prédire lequel de ces éléments se révélera la preuve maîtresse qui créera une faille dans le dossier.

Prenez par exemple le cas de Michael Morton. M. Morton a été emprisonné à tort au Texas durant 25 ans pour le meurtre de sa femme. Plusieurs rondes de tests d'ADN se sont révélées non concluantes. Après des années de bataille avec le procureur, nous avons finalement eu le droit de faire analyser le bandana ensanglanté qui a été récupéré derrière la maison des Morton par le beau-frère de M. Morton. Le bandana, qui contenait le sang de la femme de M. Morton et l'ADN d'un criminel reconnu ayant des antécédents d'agressions de femmes, a été crucial pour prouver que le meurtre a été commis par un tiers parti comme M. Morton l'avait toujours affirmé.»