Des centaines de milliers d'opposants à Mohamed Morsi étaient rassemblés dimanche en Égypte, notamment sur la place Tahrir au Caire, dans une démonstration de force destinée à prouver que l'ex-président islamiste a été renversé par une révolution populaire et non un coup d'État.

Dans le même temps, la transition lancée avec la nomination jeudi d'Adly Mansour comme président par intérim semblait peiner à se mettre en place.

Après avoir refusé le prix Nobel de la paix Mohamed El Baradei comme Premier ministre, le parti salafiste al-Nour a également exprimé ses réserves concernant Ziad Bahaa Eldin, un technocrate de centre-gauche que la présidence a affirmé vouloir «très probablement» nommer lundi.

Sous une patrouille d'avions de chasse lâchant derrière eux une fumée aux couleurs du drapeau national, la place Tahrir était noire de monde pour une mobilisation se voulant pacifique, après des heurts d'une rare violence vendredi entre pro et anti-Morsi.

Des manifestations similaires avaient lieu dans la plupart des provinces, notamment à Alexandrie, deuxième ville du pays. Des tirs ont été entendus en certains endroits et le ministère de la Santé a fait état de 29 blessés au cours de la journée.

De leur côté, les islamistes continuaient à mobiliser leurs troupes pour maintenir la pression sur l'armée, qui détient M. Morsi depuis sa destitution.

Ces mobilisations rivales font peser le risque de nouvelles violences, alors qu'au moins 37 personnes avaient été tuées vendredi, notamment en marge de rassemblements de dizaines de milliers de sympathisants des Frères musulmans, dont est issu M. Morsi.

Dimanche, l'ambiance était bon enfant à Tahrir recouverte d'une nuée de drapeaux, dont l'un, géant, proclamait «Dégage» à l'adresse de M. Morsi, tandis que des pancartes affirmaient, en anglais, «l'Egypte a connu une révolution, pas un coup d'Etat».

Plusieurs slogans accusaient Washington d'avoir pris le parti de M. Morsi, alors que le président Barack Obama a répété ne «soutenir aucun parti».

Yasser, ingénieur, a affirmé à l'AFP que la destitution de M. Morsi n'était pas «contre la démocratie» car des «millions de personnes sont descendues dans la rue pour exprimer leur colère».

«Dans l'Egypte nouvelle tout le monde sera intégré», y compris «les Frères musulmans, qui doivent pouvoir participer à la future Egypte», assure-t-il.

Comme lui, des dizaines de milliers d'Egyptiens étaient mobilisés dimanche pour «achever (la révolution) du 30 juin», date à laquelle avaient débuté les manifestations d'une ampleur inédite qui ont précédé la déposition de M. Morsi par l'armée.

Mobilisation rivale

Ses partisans étaient quant à eux massés par milliers dans différents endroits du Caire, notamment devant la Garde républicaine, où quatre des leurs sont morts vendredi lors d'échanges de tirs avec des soldats. Ils ont annoncé un sit-in illimité, leur mouvement appelant à poursuivre la mobilisation contre l'«État policier».

«Les militaires ont volé la légitimité et mon vote. Ce sont des traîtres», a lancé Ahmed Mohamed, un étudiant.

Le prochain chef de gouvernement aura la lourde tâche de redresser une économie au bord de la banqueroute et de mener la réconciliation nationale après que la polarisation politique a donné lieu à des violences meurtrières.

Preuve des clivages persistants jusqu'au sein des forces associées à la transition, le prix Nobel de la paix Mohamed ElBaradei, annoncé samedi soir comme nouveau Premier ministre, s'est heurté aux objections du parti salafiste al-Nour, partenaire islamiste d'une coalition principalement composée de mouvements laïques.

Pour ne pas s'aliéner ces ultra-conservateurs alors que les partisans des Frères musulmans sont encore dans les rues, la présidence par intérim a ensuite annoncé que «Ziad Bahaa Eldin sera très probablement nommé Premier ministre et Mohamed ElBaradei vice-président».

Quelques heures plus tard, le chef d'al-Nour rejetait cette nomination en raison de l'«affiliation» de M. Bahaa Eldin au Front du salut national (FSN, principale coalition de l'opposition à M. Morsi), plaidant pour «un technocrate qui fasse consensus ou soit accepté par 80% à 90%» des Egyptiens.

A Alexandrie, où 12 personnes ont péri vendredi dans des heurts entre pro et anti-Morsi, la sécurité a arrêté dimanche un islamiste après la diffusion d'une vidéo ayant secoué le pays, montrant des hommes jetant deux jeunes du toit d'un immeuble en marge de manifestations.

Dans une nouvelle attaque dans le nord de la péninsule instable du Sinaï où les islamistes multiplient les coups d'éclat, des hommes armés ont tué un soldat, a indiqué un responsable de la sécurité.

Le président russe Vladimir Poutine a estimé que l'Egypte était au bord d'une guerre civile, tandis que l'ex-Premier ministre britannique Tony Blair a défendu le coup militaire, estimant que l'alternative était «le chaos».