Le président du Conseil constitutionnel égyptien, Adly Mansour, a prêté serment comme président par intérim jeudi, au lendemain du renversement par l'armée de l'islamiste Mohamed Morsi après une semaine de manifestations populaires massives.

«Je m'engage à préserver le système de la République, à respecter la Constitution et la loi et à protéger les intérêts du peuple», a dit M. Mansour, désigné par l'institution militaire pour remplacer le président déchu, lors d'une brève cérémonie au siège du Conseil constitutionnel.

Les officiels présents à la cérémonie ont accueilli sa déclaration par des applaudissements chaleureux.

M. Mansour, 67 ans, devrait diriger un gouvernement de transition doté de «pleins pouvoirs» jusqu'à l'organisation d'une présidentielle anticipée et d'élections législatives, a annoncé l'armée mercredi, en ne donnant aucune précision sur la durée de la période de transition.

Réactions de la presse égyptienne

La presse égyptienne, gouvernementale et indépendante, a d'ailleurs salué jeudi dans son ensemble comme «légitime» la déposition par l'armée du président islamiste Mohamed Morsi après de vastes manifestations réclamant son départ, à l'exception du journal des Frères musulmans,

«Victoire pour la légitimité populaire», titrait le quotidien gouvernemental al-Gomhouria, en mettant en Une une photo du chef de l'armée et nouvel homme fort du pays, le général Abdel Fattah al-Sissi, sous une autre de la foule des anti-Morsi place Tahrir.

«Le président chassé par la légitimité populaire», faisait écho un autre titre gouvernemental, al-Ahram.

La presse indépendante, largement favorable à l'opposition au président Morsi, soulignait, comme le quotidien al-Chorouq, «la victoire de l'armée et du peuple», et al-Masry al-Youm titrait: «l'Égypte est de retour».

Horreya al-Adala, le journal du parti de la liberté et de la justice, émanation des Frères musulmans, ignorait de son côté la déposition du président, et faisait sa une sur les manifestations islamistes «de soutien à la légitimité» de Morsi, et sur ses dernières déclarations proposant un gouvernement de consensus.

Réactions internationales prudentes

La chute de Mohamed Morsi, premier président démocratiquement élu d'Égypte, met un terme à un an de pouvoir islamiste marqué par des crises à répétition et une forte contestation populaire et ouvre la voie à une délicate transition dans un pays profondément divisé entre pro et anti-Morsi.

Ce coup d'État dans le plus peuplé des pays arabes a suscité l'inquiétude à l'étranger, le président américain Barack Obama appelant à examiner l'implication de ces événements pour l'importante aide militaire à l'Égypte, la Russie à la retenue et l'Union européenne à une présidentielle rapide.

Célébrations sur la place Tahrir

Sur la place Tahrir au Caire qui a fêté toute la nuit avec des feux d'artifice le renversement de M. Morsi, moins de trois ans après avoir célébré la chute de son prédécesseur Hosni Moubarak  en février 2011, il restait quelques petits groupes de manifestants alors que des haut-parleurs diffusaient de la musique patriotique.

«Victoire pour la légitimité populaire», «Le président chassé par la légitimité populaire»,  «l'Égypte est de retour», titrait la presse gouvernementale et indépendante. En revanche, le  journal Horreya al-Adala des Frères musulmans ignorait son renversement et titrait sur les manifestations pro-Morsi.

Les événements se sont précipités depuis lundi au lendemain de manifestations sans précédent, émaillées de violences meurtrières, contre M. Morsi , élu il y a un an et accusé par ses détracteurs de vouloir instaurer un régime autoritaire au profit des Frères musulmans dont il est issu.

Après l'expiration d'un ultimatum de 48 heures lancé par l'armée et face à la persistance de M. Morsi à rester au pouvoir, c'est son ministre de la Défense et chef de l'armée, le général Abdel Fattah al-Sissi, le nouvel homme fort du pays, qui a annoncé mercredi soir sa mise à l'écart.

Les forces de sécurité l'ont ensuite arrêté et l'ont emmené au siège du ministère de la Défense, après la diffusion d'un enregistrement vidéo dans lequel M. Morsi s'est redit «le président élu d'Égypte» et a dénoncé un «coup d'État complet rejeté par les hommes libres du pays».

Mesures contre les Frères musulmans

Ce coup de force fait craindre de nouvelles violences, alors que les heurts depuis le 26 juin ont coûté la vie à  57 personnes, dont dix morts mercredi soir lors de heurts avec les forces de l'ordre et d'accrochages entre pro et anti-Morsi.

Le ministère de l'Intérieur a averti qu'il répondrait «fermement» aux troubles et des blindés ont été déployés la veille au Caire.

Dans le cadre des mesures prises contre les Frères musulmans, qui étaient arrivés au pouvoir après avoir été honnis durant les 30 ans de dictature de Moubarak, l'équipe présidentielle a été aussi placée en  résidence surveillée alors que 300 mandats d'arrêt ont été lancés contre ses membres et deux de ses dirigeants ont été interpellés Saad al-Katatni et Rached Bayoumi.

Un haut responsable de l'armée a confirmé la détention  «de façon préventive» de M. Morsi, laissant entendre qu'il pourrait être poursuivi, alors qu'il est sous le coup -avec plusieurs dirigeants de la confrérie, dont le Guide suprême Mohammed Badie- d'une interdiction de quitter le territoire.

La feuille de route sur la transition politique a été annoncée par le général Sissi, après des discussions avec le représentant de l'opposition Mohammed ElBaradei et les principaux dignitaires religieux musulmans et chrétiens du pays.

«Outre la suspension provisoire de la Constitution», la feuille de route prévoit  que «le président par intérim Adly Mansour prenne en charge les affaires du pays durant la période de transition jusqu'à l'élection d'un nouveau président», a-t-il annoncé, en soulignant que l'armée «resterait éloignée de la politique»

Accusé de tous les maux 

L'institution militaire, qui avait pris les rênes de l'exécutif durant 16 mois entre la chute de Hosni Moubarak et l'élection de M. Morsi en juin 2012, n'a pas précisé la durée de la transition.

Les consultations pour la formation du prochain gouvernement qui sera «doté des pleins pouvoirs» ont commencé, selon l'opposant Amr Moussa.

Confronté durant sa présidence à une contestation populaire qui a atteint son apogée ces derniers jours, M. Morsi était accusé de tous les maux du pays -administrations corrompues, dysfonctionnements économiques, tensions confessionnelles- par ses adversaires.

Ces derniers voyaient en lui un apparatchik islamiste à la fois avide de pouvoir et inexpérimenté, cherchant à placer ses partisans dans tous les rouages du pays et à restaurer, sous un habillage idéologique différent, le système autoritaire d'autrefois.

Ses partisans, eux soulignent qu'il puise sa légitimité dans la première présidentielle libre de l'histoire du pays, et que les problèmes auxquels il doit faire face ne datent pas de son arrivée. Ils ont manifesté eux aussi massivement ces derniers jours.