Le gouvernement américain s'est trouvé affaibli mercredi à l'ouverture de la phase finale du procès de Bradley Manning, la taupe de WikiLeaks, sans pouvoir prouver que la plus grande fuite de l'histoire américaine n'ait fait de mort.

Acquitté mardi de la plus lourde charge, celle d'avoir aidé l'ennemi, le jeune soldat américain, qui a admis avoir transmis quelque 700 000 documents diplomatiques et militaires au site internet WikiLeaks, encourt toujours 136 ans de prison pour des charges d'espionnage, de fraude informatique, de vol d'informations du gouvernement américain et de désobéissance à l'armée.

Alors que sur la base de Fort Meade, au nord de Washington, le procès entrait dans sa dernière ligne droite, le gouvernement est passé à l'offensive pour décrocher la peine la plus lourde possible.

Le procureur militaire Ashden Fein a d'emblée requis «la punition maximale de 136 ans sur la base du verdict», un «renvoi de l'armée pour déshonneur» ainsi qu'une peine d'amende.

Assis au côté de son avocat, le soldat de 25 ans, au visage d'adolescent et à la frêle silhouette dans son uniforme bleu marine, écoutait en silence, prenant de temps à autre des notes dans une salle du tribunal clairsemée.

Soulignant qu'il entendait montrer «l'impact de la conduite criminelle du soldat Manning», le major Fein a appelé à la barre le brigadier-général à la retraite Robert Carr, que la Cour a reconnu comme expert.

Le témoin, qui a dirigé l'équipe de contrôle du renseignement (IRTF, Information Review Task Force) mise en place après les fuites de Manning, a brossé un tableau sombre d'une affaire de grande «magnitude», car «personne n'avait jamais assisté ni vu la publication d'un tel nombre de documents».

«Il n'y avait pas de marche à suivre», «rien n'était normal avec WikiLeaks». «Nous devions d'abord nous assurer que nos sources n'étaient pas vulnérables (...), savoir si nos alliés britanniques ou nos amis français couraient un risque en raison de ces activités (...), être sûrs que les données n'avaient pas été manipulées et les sécuriser.»

«Pensez-vous que ces informations ont pu être utilisées par nos adversaires?» a demandé le major Fein. «Absolument», a rétorqué M. Carr, «j'étais très préoccupé».

La juge écarte une partie du témoignage

«Il y avait un risque que des gens soient en danger», a-t-il dit, précisant avoir «passé en revue tous les documents des bases de données irakiennes, afghanes et des dossiers de Guantanamo» rendus publics par WikiLeaks.

Mais pressé par la défense, l'expert a dû admettre qu'aucune personne n'était morte en raison des fuites à WikiLeaks concernant le conflit afghan.

«Je ne connais qu'une seule personne qui ait été tuée en Afghanistan des suites de la divulgation des documents afghans», a-t-il dit, et «les talibans avaient lié (cet Afghan) à la publication». Mais «son nom n'était pas» parmi les quelque 900 noms sur les documents relatifs à l'Afghanistan, a-t-il finalement reconnu lors d'une objection de la défense.

La juge militaire Denise Lind a précisé qu'elle ne tiendrait pas compte de son témoignage concernant ce mort qui n'avait rien à voir avec le dossier Manning.

Interrogé sur les dossiers secrets des 779 détenus de Guantanamo, l'ancien responsable militaire a ajouté qu'il s'agissait de «gens très dangereux qui avaient des alliés dangereux. Avant la publication, l'adversaire n'avait aucune idée de ce que nous savions d'eux», a-t-il asséné, estimant que la fuite avait compromis «nos efforts pour rapatrier certains détenus et fermer Guantanamo».

Également cité par le gouvernement et qualifié d'expert par la juge, John Kirchhofer, ex-chef adjoint de l'IRTF, a raconté, sans les nommer, comment certains alliés de l'OTAN avaient réagi avec des «commentaires déplaisants et des accusations envers les États-Unis», «plutôt agressives», lors d'une réunion sur l'impact possible des fuites, en octobre 2010.

La juge, qui a rendu son verdict mardi, décidera aussi de la peine, comme l'a choisi l'accusé, qui avait préféré cette option plutôt que celle d'un jury militaire.

Elle a précisé que le soldat bénéficierait d'une remise de peine de 1274 jours au terme du procès, dont 1162 jours déjà purgés et 112 jours accordés en raison de son régime carcéral restrictif pendant les neuf mois qui ont suivi son arrestation en mai 2010.

Pour réduire au maximum le temps de Manning derrière les barreaux, la défense a déposé un recours pour fusionner certaines charges, qui pourraient alors être servies simultanément.

Cette phase du procès, entamé début juin, pourrait durer trois semaines.