Vous habitez dans un quartier peu recommandable, soit un quartier où le taux de criminalité est plus élevé que la moyenne et où la police peut mettre du temps à arriver? Seriez-vous plus en sécurité si vous aviez une arme?

C'est ce que croit Kyle Coplen. Étudiant à la maîtrise en administration publique à l'Université de Houston, au Texas, M. Coplen, 29 ans, a lancé en février l'Armed Citizen Project, une organisation à but non lucratif créée pour fournir des armes aux citoyens des quartiers défavorisés.

L'offre lancée sur l'internet a été reprise par les médias conservateurs, et a vite fait parler de l'organisation. «J'ai reçu des courriels et des appels des gens de partout aux États-Unis, sauf deux ou trois États, comme le Vermont», a dit M. Coplen en entrevue avec La Presse.

La majorité des gens qui ont pris contact avec lui appuient son initiative, dit-il. Certains ont fait des dons à son organisation.

L'idée n'est cependant pas bien reçue partout. «C'est un projet offensant, a expliqué en entrevue Sal Baldenegro, organisateur communautaire à Tucson, en Arizona, où Armed Citizen Project a récemment voulu donner des armes dans un quartier ouvrier. C'est une idée propagée par les gens du Tea Party. Ça ne vient pas d'une demande des citoyens sur le terrain.»

Armed Citizen Project a décidé de fournir une centaine d'armes à des citoyens d'un quartier chaud de Houston, au Texas, et tentera de voir si l'initiative arrive à faire baisser le taux de criminalité dans la prochaine année.

Le groupe entend fournir des armes à des gens qui en font la demande, qui n'ont pas de casier judiciaire, qui assisteront à une fin de semaine de formation et passeront l'analyse de dossier du gouvernement fédéral. Au début du mois de mars, l'organisation a enseigné le maniement et a fourni une arme à 11 femmes de Houston qui en avaient fait la demande. Le groupe fournit des fusils de chasse de calibre 20, munis d'un système de verrouillage et ne pouvant tirer qu'une seule balle avant de devoir être rechargé.

Kyle Coplen dit avoir comme objectif d'implanter le projet dans 15 villes américaines. Récemment, un militant républicain de Tucson, en Arizona, a tenté de lancer le projet dans Midvale Park, un quartier ouvrier de la ville, mais a dû laisser tomber quand les citoyens ont pris position contre l'initiative.

Une proposition «révoltante»

Joe Miller, président de l'association des citoyens de Midvale Park, affirme qu'il a d'abord cru à une blague la première fois qu'un journaliste local a pris contact avec lui pour avoir ses réactions.

«C'est assez révoltant comme proposition, a-t-il dit en entrevue téléphonique. Notre quartier n'a pas besoin de voir des citoyens se transformer en agents de la paix. Nos policiers font du bon travail. D'après moi, tout ça est un coup d'éclat pour faire parler les gens.»

Même à Houston, ville réputée pour son acceptation des armes, le projet ne fait pas l'unanimité. Sur les ondes de la radio de Houston KPFT, l'animateur progressiste Geoff Berg a qualifié l'initiative de ridicule.

«C'est difficile de mettre en mots l'état d'esprit d'une personne qui envisage d'utiliser des humains comme des rats de laboratoire pour prouver une doctrine de la droite», a-t-il dit durant son émission.

M. Coplen ne semble pas s'en formaliser. «Les gens qui sont contre le projet étaient déjà contre les armes à feu au départ. Nous n'arriverons jamais à les convaincre.»

Des études en opposition

M. Coplen, qui possède lui-même cinq armes, admet ne pas avoir de données sur une possible augmentation de la violence attribuable au projet. Pourtant, les données existent et démontrent que la présence des armes à feu tend à exacerber le problème de la violence.

Une étude publiée cette année dans The Journal of the American Medical Association a révélé que les États ayant les lois les plus permissives par rapport aux armes ont un taux d'homicides beaucoup plus élevé que les États où les lois sont sévères.

L'École de santé publique de Harvard avait aussi démontré, en 2011, que les États ayant le plus grand nombre d'armes par habitant sont ceux où les enfants sont plus susceptibles de perdre la vie à la suite d'un homicide ou d'un accident d'arme à feu.

Globalement, les taux de crimes violents et d'homicides sont en diminution depuis la fin des années 70 aux États-Unis. À cette époque, on comptait 10 homicides par tranche de 100 000 habitants par année, contre 3,92 aujourd'hui.

À Tucson, Sal Baldenegro et ses collaborateurs sont déjà en train d'organiser une réponse à l'offre refusée des armes gratuites. «Nous récoltons des dons afin de donner des livres et des ballons de soccer aux enfants de la communauté, dit-il. C'est de cela que les gens nous disent qu'ils ont besoin.»

***

Faits d'armes: des chiffres sur la violence aux États-Unis

Le taux d'homicides aux États-Unis est 6,9 fois plus élevé que celui de 22 autres pays industrialisés combinés. Pourtant, le taux de criminalité aux États-Unis est comparable à celui de ces mêmes pays.

Les homicides par arme à feu touchent la communauté noire de façon disproportionnée. Une personne noire est 10 fois plus susceptible d'être tuée par une arme à feu qu'une personne blanche. 75 % des membres de la communauté noire appuient des mesures plus sévères pour contrôler les armes, contre environ 50 % des Blancs.

Les foyers où l'on trouve un nombre important d'armes à feu sont plus à risque pour les suicides et les homicides que les foyers qui n'en possèdent pas. Le nombre de foyers où l'on trouve une arme à feu est en constante diminution. À peine 20 % des gens de 25 à 30 ans possèdent une arme aujourd'hui. À la fin des années 70, c'était 50 %.

Sources : U.S. Centers for Disease Control and Prevention, Brady Campaign to Prevevent Gun Violence, Washington Post.