L'armée a renversé mercredi l'islamiste Mohamed Morsi, premier président démocratiquement élu d'Égypte, après une année au pouvoir marquée par des crises parfois meurtrières, qui doit laisser place à une délicate transition dans un climat de graves tensions.

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Dès l'annonce, la place Tahrir du Caire où était massée une foule d'opposants a explosé de joie sous les feux d'artifice à l'annonce en soirée de la mise à l'écart de M. MOrsi, dans des scènes rappelant la chute du président Hosni Moubarak en février 2011.

«C'est un nouvel instant historique, nous nous sommes débarrassés de Morsi et des Frères musulmans», la confrérie dont il est issu, a lancé un manifestant au milieu d'un cortège d'automobilistes klaxonnant et agitant des drapeaux égyptiens.

Le président déchu seulement 368 jours après son arrivée au pouvoir, confronté durant sa présidence à une contestation populaire qui a atteint son apogée ces derniers jours, a martelé dans une vidéo qu'il restait «le président élu de l'Égypte» et appelé ses partisans à «défendre» sa légitimité.

Le lieu et le moment de cet enregistrement de mauvaise qualité, diffusé après l'annonce de l'armée, n'ont pas été précisés.

L'armée, qui avait donné jusqu'à 14h30 GMT (10h30 à Montréal)mercredi à M. Morsi pour se plier «aux revendications du peuple», a, à l'expiration de cet ultimatum annoncé qu'elle confiait la direction du pays au président de la Haute cour constitutionnelle, Adly Mansour, jusqu'à la tenue d'une présidentielle anticipée. Ce dernier doit prêter serment jeudi.

Nouvelles violences

Craignant de nouvelles violences après celles qui avaient fait 47 morts depuis une semaine, le ministère de l'Intérieur a averti qu'il répondrait «fermement» aux troubles et des blindés ont été déployés au Caire, bloquant les voies menant aux rassemblements pro-Morsi, alors que des dizaines de milliers d'opposants étaient massés encore dans la nuit dans la capitale et en province.

Des heurts ont éclaté à Marsa Matrouh (nord-ouest), sur la côte méditerranéenne, où quatre partisans de M. Morsi ont trouvé la mort et 10 autres ont été blessés en attaquant un bâtiment de la sécurité.

Un proche du président déchu a néanmoins affirmé à l'AFP que ce dernier appelait «les Égyptiens à résister pacifiquement» à ce «coup d'État» qualifié d'«illégal».

Les États-Unis, qui avaient réduit leur personnel diplomatique au Caire, ont annoncé l'évacuation de leur ambassade, de crainte d'une recrudescence des violences.

Paris, de son côté, a «pris acte» de la tenue de futures élections, et souhaité que la période qui s'ouvre se déroule dans «le respect de la paix civile (...)».

Le roi Abdallah d'Arabie saoudite a quant à lui été le premier dirigeant étranger à féliciter M. Mansour, «le président de la République arabe d'Égypte soeur».

«Ce n'est pas un coup d'État», a lancé un des ténors de l'opposition à M. Morsi, l'ancien chef de la Ligue arabe Amr Moussa, en soulignant que l'action de l'armée était saluée par l'église chrétienne copte, la grande institution sunnite d'Al-Azhar, et de nombreuses forces politiques et sociales.

Il a assuré que des consultations pour former un nouveau gouvernement avaient commencé.

Arrestations et interdiction de voyage

Les militaires, qui avaient pris les rênes de l'exécutif durant 16 mois entre la chute de Hosni Moubarak et l'élection de M. Morsi, n'ont pas précisé la durée de cette période de transition avant la tenue d'élections générales.

L'armée a également suspendu la Constitution, approuvée en décembre par référendum, et annoncé qu'un comité chargé d'examiner les propositions d'amendements constitutionnels serait formé» ainsi qu'un gouvernement regroupant «toutes les forces nationales» et «doté des pleins pouvoirs».

Ces annonces ont été faites lors d'une allocution télévisée durant laquelle se sont exprimé le chef de l'armée et ministre de la Défense, le général Abdel Fattah al-Sissi, qui apparaît comme le nouvel homme fort du pays, puis les principaux chefs religieux du pays et le représentant de l'opposition Mohamed ElBaradei.

Le groupe a mené dans la journée des tractations pour parvenir à cette «feuille de route», qui, selon M. ElBaradei, «répond aux revendications du peuple».

Devant le ministère, des milliers de personnes scandaient «Égypte, Égypte!», criant leur joie après l'annonce de l'armée.

«Je n'attendais qu'une chose, c'est que Morsi parte», affirmait Abdel Khalek Abdo, un agriculteur de 56 ans.

Des milliers de pro-Morsi étaient de leur côté toujours massés au Caire sur la place Rabaa al-Adaouiya, dans le faubourg de Nasr City. «Morsi a été trahi, c'est un coup d'État contre un président élu», a lancé l'un d'eux.

Après l'éviction de leur président, l'étau se resserrait autour des Frères musulmans.

Des sources de sécurité ont affirmé que des chefs islamistes ont été arrêtés, alors que M. Morsi et plusieurs dirigeants de la confrérie avaient été interdits de quitter l'Égypte, dont le Guide suprême de la puissante confrérie, Mohammed Badie, et son «numéro 2» Khairat al-Chater. En outre, la sécurité a interrompu la diffusion de leur chaîne de télévision.