À une semaine du début des audiences sur le projet de l'oléoduc 9 d'Enbridge, le ton monte entre les opposants et l'entreprise de Calgary. Tout cela alors que l'Office national de l'énergie (ONE) confirme avoir exclu tous les intervenants qui voulaient aborder les questions environnementales plus larges comme les changements climatiques et les conséquences de l'expansion des sables bitumineux.

Hier, la Ville de Montréal a fait une sortie en règle contre Enbridge, estimant que l'entreprise n'en a pas fait assez pour «préserver les ressources en eau potable» de la région.

La table est mise pour un débat vif devant l'Office national de l'énergie, la semaine prochaine. L'Office doit se prononcer d'ici la fin du mois de mars sur le projet d'inversion du flux de l'oléoduc 9B d'Enbridge. Cette inversion permettrait d'acheminer du pétrole de l'Ouest à Montréal, en particulier du pétrole lourd en provenance des sables bitumineux.

Même si ce pétrole est l'un des plus polluants à extraire et à raffiner, et qu'il a un impact plus important sur le climat, tous les intervenants qui voulaient aborder ces questions devant l'ONE ont été écartés du processus, a confirmé hier le président de l'organisme, Gaétan Caron, en entrevue éditoriale avec La Presse.

L'Office a reçu 177 demandes de participation. De ce nombre, 158 ont été accordées. Onze personnes ont plutôt obtenu le droit de présenter une lettre de commentaires. Enfin, il a été jugé que huit personnes n'avaient «pas qualité pour agir».

«Dans plusieurs de ces cas, ce sont des gens qui voulaient nous parler de leurs opinions sur des choses qui étaient explicitement exclues du cadre des audiences, par exemple les changements climatiques et le bien-fondé de permettre aux sables bitumineux d'être en croissance ou pas», dit M. Caron.

Ces questions ne font pas partie du mandat de l'ONE, affirme-t-il.

«C'est quoi, la pertinence de se poser cette question-là? Est-ce qu'on devrait changer nos habitudes de consommation d'hydrocarbures? Qu'est-ce qui peut permettre de réduire les GES? C'est de réduire la consommation d'hydrocarbures. Et loin de moi l'idée de juger les Canadiens sur leur consommation de pétrole, sur la consommation d'essence de leur voiture.»

Plusieurs craignent que l'Office n'ait pas les coudées franches pour statuer sur les projets comme celui d'Enbridge, après les réformes adoptées l'an dernier par le gouvernement Harper. En effet, Ottawa s'est octroyé le pouvoir de faire fi des décisions de l'Office. L'opposition et les écologistes ont critiqué cette réforme en affirmant que les dés étaient pipés en faveur de l'industrie.

M. Caron fait valoir que la réforme lui a aussi conféré de nouveaux pouvoirs et que son budget d'inspection a doublé. «Je n'ai pas d'opinion sur ce que le Parlement canadien a voulu faire, dit-il. Ce que je dis, c'est que ça ne change en rien la façon dont on fait notre travail. Et on a des pouvoirs accrus dans le domaine, par exemple, des sanctions, et on a de la clarté sur le temps qu'une entreprise et des intervenants ont besoin d'attendre avant que notre recommandation relève du domaine public.»

Inquiétude pour l'eau

Hier, Josée Duplessis, présidente du comité exécutif de la Ville de Montréal, a critiqué sévèrement Enbridge, à l'instar de plusieurs autres villes du Québec et de l'Ontario.

«À ce jour, rien ne nous permet de conclure que la compagnie Enbridge a la capacité d'intervenir en cas de catastrophe», a affirmé Mme Duplessis, au cours d'une conférence de presse commune avec la mairesse de Sainte-Justine-de-Newton, où l'oléoduc 9 d'Enbridge entre sur le territoire québécois, et les représentants de Greenpeace et d'Équiterre, qui s'opposent au projet.

«Il ne faudrait pas croire que la Ville de Montréal a les mêmes positions [que les écologistes], mais on a les mêmes préoccupations», a dit Mme Duplessis.

Elle convient que toute la communauté d'affaires montréalaise appuie le projet, mais elle insiste pour faire primer les questions de sécurité, en particulier pour l'approvisionnement en eau. «C'est très clair, la sécurité du public, il faut que ce soit la priorité», dit-elle, en rappelant que le pipeline traverse la rivière des Outaouais, en amont de plusieurs prises d'eau municipales.

Elle souligne que la position de la Ville est énoncée dans un mémoire déposé à l'Office national de l'énergie et que ce document a été adopté à l'unanimité par le comité exécutif.

Fait inusité, le porte-parole d'Enbridge pour l'est du Canada, Éric Prud'Homme, a assisté à la conférence de presse. Il s'est dit «surpris» de la sortie de la Ville aux côtés de Greenpeace et d'Équiterre, qu'il qualifie de «geste lourd de sens».

Il dit qu'Enbridge a rendu visite aux trois casernes de pompiers montréalaises qui pourraient être concernées par une défaillance dans la portion montréalaise du pipeline. Il y aurait aussi eu une rencontre avec la direction du service des incendies.

«On sait que M. Prud'Homme rencontre beaucoup de monde, réplique Mme Duplessis. N'importe qui peut aller visiter un poste de pompiers. Mais à un moment donné, ça prend un document qui nous dit quels sont les effectifs requis en cas d'urgence et ça prend un plan de mesures d'urgence. Et on ne l'a toujours pas.»

Aucune décision sur la consultation à Québec

Québec n'a toujours pas déterminé la forme que prendra la consultation publique qu'il organise sur l'oléoduc d'Enbridge. Au bureau du ministre de l'Environnement, Yves-François Blanchet, on n'a pas été en mesure de préciser si la démarche sera exclusive au projet d'Enbridge ou si elle s'insérera dans un examen plus vaste. 

La consultation promise l'hiver dernier par le gouvernement péquiste fait l'objet d'un bras de fer au Conseil des ministres. Certains souhaitent une étude approfondie des impacts environnementaux de la croissance du pétrole bitumineux. De l'autre côté, des titulaires de portefeuilles économiques sont favorables à une formule moins vaste.