La venue éventuelle de pétrole bitumineux à Montréal pourrait accroître la pollution de l'air et les émissions de gaz à effet de serre (GES) dans toute la province, à cause de la disponibilité accrue depetcoke, ou coke de pétrole.

C'est ce que craignent l'Association québécoise de lutte à la pollution atmosphérique (AQLPA) et Greenpeace.

Le petcoke est un résidu du raffinage du pétrole lourd formé de boulettes de goudron et de soufre. Il est plus polluant que la houille, tant du point de vue des pluies acides que des gaz à effet de serre. Il peut aussi contenir des métaux lourds.

Il est utilisé dans les centrales au charbon, les cimenteries et les alumineries, où il remplace des carburants moins polluants, mais plus coûteux.

André Bélisle, de l'AQLPA, souligne que selon Statistique Canada, c'est déjà le Québec qui est le plus grand utilisateur de petcoke au Canada, plus que l'Ontario et l'Alberta réunis. «Selon ce qu'on comprend, c'est surtout les cimenteries qui l'utilisent, pour environ les deux tiers», dit-il.

«Plus on produit de petcoke, plus la pollution va augmenter et on va avoir des problèmes de qualité de l'air», affirme M. Bélisle.

À Montréal, Petro-Canada prévoyait investir un milliard pour bâtir une usine de cokéfaction, mais Suncor a abandonné ce plan après son acquisition de Petro-Canada en 2009.

Cependant, récemment, la direction de l'entreprise a affirmé qu'elle songe à relancer ce projet, sous une forme ou une autre. L'investissement pourrait être rentable si le pétrole lourd pouvait atteindre Montréal avec le renversement proposé du flux de la ligne 9 d'Enbridge, actuellement à l'étude devant l'Office national de l'énergie.

Rien n'est encore décidé, toutefois, affirme-t-on. «Une variété de possibilités seraient considérées si Montréal avait accès à du pétrole de l'Ouest, mais il est trop tôt pour faire des commentaires spécifiques», affirme Sneh Seetal, porte-parole de Suncor à Calgary.

La question du coke n'est pas marginale dans le cas du pétrole lourd. Suncor en produit 15 000 tonnes par jour en Alberta. Sa teneur en soufre est de 5,7% à 6,8%.

Environ 15% d'un baril de bitume peut finir en coke, selon Lorne Stockman, de l'organisme Oil Change International, à Washington.

«C'est typiquement 15%, mais jusqu'à 30% selon le procédé, dit-il en entrevue avec La Presse. Le but est d'extraire autant de liquide que possible du bitume et c'est ce qu'on fait dans une usine de cokéfaction.»

Selon M. Stockman, le coke issu des sables bitumineux est de qualité inférieure à cause de sa haute teneur en soufre. «On ne peut pas l'utiliser dans les alumineries ou les fonderies, dit-il. On peut par contre l'utiliser dans les cimenteries.»

Le projet de cimenterie de Cimbec à Port-Daniel, en Gaspésie, prévoit utiliser du coke de pétrole. «C'est un des combustibles qui sont envisagés», dit Denis Boucher, porte-parole de Cimbec. Cependant, ajoute-t-il, «la présence de souffre dans le petcoke est une bonne chose parce que notre recette de ciment en a besoin».

Le principal problème du petcoke réside dans ses émissions accrues de gaz à effet de serre, affirme Patrick Bonin, de Greenpeace.

«Encore une fois, la question du coke de pétrole montre que Québec doit faire sa propre évaluation de l'importation de pétrole des sables bitumineux, dit-il. Actuellement, ces questions sont ignorées dans l'évaluation fédérale du renversement de la ligne 9. On risque d'augmenter l'offre de petcoke et faire chuter les prix alors que c'est pire que le charbon. C'est complètement incompatible avec la lutte aux changements climatiques.»

Querelle Detroit-Windsor

La gestion adéquate de grandes quantités de petcoke peut devenir problématique. Ces dernières semaines, une querelle a éclaté entre Windsor et Detroit, où une raffinerie a commencé l'an dernier à raffiner le pétrole bitumineux de l'Alberta.

Des montagnes de petcoke se sont accumulées sur les quais de la rivière Detroit, en attendant la reprise de la navigation fluviale.

Les résidants de Detroit et de Windsor s'inquiètent de voir la poussière s'échapper de ces monticules ou que la rivière soit polluée par ruissellement.

Les autorités environnementales du Michigan surveillent la situation, mais n'ont pas noté d'infraction.

Le coke a commencé à s'accumuler sur les quais peu après le démarrage d'une usine de cokéfaction à la raffinerie Marathon Petroleum, à Detroit. Cette usine a été construite au coût de 2,2 milliards afin de pouvoir traiter le pétrole lourd.