À chaque campagne électorale, la question revient. Certains affirment d'autorité que les sondages influencent le vote et que, par conséquent, ils devraient être interdits.

Le « père des sondages » lui-même, George Gallup, l'avait posée dès 1940 dans un article intitulé « Is There a Bandwagon Vote ? ». Comme de nombreux autres chercheurs par la suite, il avait conclu à l'absence d'un effet des sondages sur le vote. Toutefois, est-il possible que cette influence existe dans certains contextes spécifiques - plusieurs partis en lice, intentions de vote plus volatiles?

Avec mon collègue John Goyder et avec la collaboration de La Presse et de CROP, j'ai mené quatre enquêtes sur l'influence des sondages dans les élections québécoises de 2007 et 2012 et fédérales de 2008 et 2011. Les mêmes répondants ont été interrogés avant chaque élection sur leur utilisation des sondages et leurs perceptions de ceux-ci et, après chaque élection, sur leur vote et sur l'influence des sondages sur leur comportement. Qu'en est-il des résultats ?

Selon les élections, de 50 % à près de 70 % des électeurs consultent les sondages et ce sont les électeurs les plus intéressés par la politique et les plus éduqués qui les consultent le plus. Les sondages influencent-ils pour qui les gens vont voter ?

Les résultats montrent que ceux qui ont consulté les sondages ont plus tendance à aller voter que ceux qui ne l'ont pas fait.

De plus, ils ont moins tendance à changer d'opinion entre leur intention déclarée pendant la campagne et leur vote.

Le type de parti préféré est souvent ce qui pousse des personnes à ne pas aller voter, ou à voter pour un parti différent de celui pour lequel elles avaient l'intention de voter. Les électeurs qui ont l'intention de voter pour de « petits partis » ont plus tendance à ne pas aller voter ou à se rallier à un « grand parti ». Évidemment, ce sont les sondages qui informent les électeurs de la popularité de leur parti préféré dans l'électorat général, même s'ils ne les informent pas de sa popularité dans leur circonscription en particulier. Et les gens qui changent d'idée ont plus tendance à affirmer que les sondages ont rendu leur décision soit plus facile, soit plus difficile à prendre.

Certains attribuent aux sondages la « vague orange » de 2011. Dans cette campagne, le mouvement vers le NPD a commencé presque en secret, après l'apparition de Jack Layton à l'émission Tout le monde en parle et sa prestation au débat en français. Ce n'est que le 21 avril 2011, lorsque quatre sondages, faits par CROP, Ekos, Forum et Ipsos, avec trois méthodologies différentes, ont tous montré que le NPD avait dépassé le Bloc québécois dans les intentions de vote, que l'on s'est mis à parler de vague. Toutefois, le mouvement était déjà commencé depuis une semaine. Il n'avait donc pas été lancé ni par un sondage en particulier ni par les sondages. À l'élection québécoise de 2014, la remontée de la CAQ s'est aussi produite en l'absence de sondages publics pendant presque 10 jours.

Devrait-on interdire les sondages ? Outre le fait que ce serait impossible en démocratie, on remplacerait alors un outil scientifique relativement fiable par la rumeur. Là où on a voulu interdire les sondages, de supposés résultats « secrets » ont circulé sans qu'il soit possible de vérifier leur fiabilité. La situation actuelle a cela de bon qu'elle permet de vérifier d'une élection à l'autre si, et dans quelles circonstances, les sondages peuvent se tromper. Les sondages constituent une des informations dont les électeurs peuvent tenir compte au moment de voter, et c'est sans doute l'information la plus scientifique à laquelle ils ont accès.

* WAPOR (World Association of Public Opinion Research). Claire Durand collabore à la section Débats pendant la campagne électorale.