Après Angela Merkel (octobre 2010), David Cameron (février 2011) - vivement applaudi en France par Marine Le Pen -, et quelques jours plus tard Nicolas Sarkozy, la première ministre du Québec, Pauline Marois, vient de décréter l'échec du multiculturalisme.

Mme Marois précise sa pensée en vantant «le plus bel exemple» que constitue le modèle français d'intégration, «notamment pour les immigrants du Maghreb». Il faut malheureusement lui demander de réviser son jugement.

Jusqu'à la fin des années 70, en France, l'idée républicaine n'était guère en débat; tout au plus des mouvements «nationalitaires», breton et occitan notamment, avaient-ils mis en cause la façon dont la République avait contribué durant un bon siècle au laminage d'identités et de langues régionales.

Puis sont venues les violences des premiers «étés chauds», la question des «banlieues», et la prise de conscience des transformations de l'immigration. Le migrant, au lieu d'être un célibataire venu travailler en France pour économiser et rentrer ensuite au pays, devait désormais être inclus dans la vie du pays, le regroupement familial l'installait sans retour, avec femme et enfants, dans la société française.

Dans un contexte dominé aussi par le chômage, la précarité et la désindustrialisation, le racisme s'est renouvelé et étendu, tandis que l'islam devenait la deuxième religion du pays, et que le Front national passait du statut de groupuscule à celui de parti important.

Le modèle d'intégration français est apparu alors comme impuissant pour endiguer les forces d'une décomposition opérant dans tous les domaines de la vie collective - social, économique, culturel, politique.

Des débats passionnés ont agité le pays à propos du «foulard», des émeutes ont agité les banlieues populaires, avec un pic en 2005 - trois semaines de violence, sur tout le territoire national, des centaines de voitures incendiées chaque nuit -, et la sécurité n'a cessé de constituer une préoccupation de plus en plus constante et centrale.

Les Français, c'est vrai, sont attachés à l'idée républicaine. Mais celle-ci tend à apparaitre comme un universalisme abstrait, une promesse superbe, mais qui n'est plus tenue, et en tous cas par pour tous. Le jeune issu de l'immigration maghrébine qui habite un ghetto urbain, qui est confronté au racisme, aux incessantes interpellations policières «au faciès», et qui sera chômeur bien plus que d'autres, ne peut trouver son compte dans la magnifique devise qu'il lit au fronton des édifices publics, à commencer par l'école, qui annonce» «RF (République Française)» et précise: «Liberté, égalité, fraternité». Ces trois catégories ne sont pas tout à fait pour lui.

La République est une belle idée, mais une réalisation de moins en moins efficace. Du coup, ceux qui veulent la défendre et la promouvoir ont le choix entre trois logiques, qu'ils peuvent éventuellement conjuguer: la sommation (je vous somme de vous intégrer), l'incantation, et la répression.

La laïcité tant vantée devient un combat défensif, réactif et non pas d'émancipation, et de séparation des Églises et de l'État. Comme il y a un siècle, elle est fréquemment soupçonnée d'être mise en avant pour mieux humilier l'islam, résister à sa présence ou s'y opposer.

Personne en France ne souhaite en finir avec la République et la laïcité, pas même le Front national, qui ne cesse désormais d'afficher son adhésion à ces valeurs. Mais personne n'a la recette pour véritablement les faire vivre sans encombre: telle est la situation du modèle français, qui tend à devenir un mythe, ou une idéologie, tant il est devenu difficile à mettre en oeuvre concrètement.