Depuis mon arrivée au Québec, il y a presque 20 ans, c'est la deuxième fois que je perçois, çà et là, des relents de racisme et de haine envers la communauté arabe et musulmane. Auparavant et entretemps, pas de vrai racisme, mais parfois des petits préjugés que j'arrivais à dissiper par la parole ou par l'écrit.

La première fois que j'ai été confrontée à ce malaise, ce fut après les événements du 11-Septembre. On mettait les Arabes, les musulmans et les islamistes dans le même sac. Là aussi, il a fallu parler, clarifier, convaincre, même si cela demandait beaucoup d'énergie. Ce même malaise réapparaît maintenant avec les discussions sur la Charte de la laïcité, dite des valeurs québécoises. La plupart des propos que j'entends autour de moi visent les musulmans et frisent parfois l'islamophobie.

Comme démocrate et ancienne journaliste qui a exercé en Algérie dans un pays en lutte contre le terrorisme intégriste religieux, je suis plus que sensible à la volonté des peuples et des individus de préserver leur identité, leur liberté et leur démocratie. Le Québec, le Canada, terres de diversité, de métissage et de respect des droits de la personne, attirent les immigrants dont ils ont besoin, justement pour cela. Les communautés qui viennent du monde entier s'y sentent plus respectées et incluses que partout ailleurs. C'est pour cela qu'elles aiment le Québec comme si c'était leur pays de naissance et, dans bien des cas, le préfèrent à leur propre pays d'origine où certains ont connu pauvreté, emprisonnement et torture. Il n'y a qu'à voir avec quel enthousiasme ces communautés participent en grand nombre aux fêtes de la Saint-Jean et du Canada.

Je suis d'accord que, pour des raisons de sécurité évidentes, on ne peut servir ni embaucher dans le public une personne dont on ne voit pas le visage (couvert par une burqa, un tchador ou un masque de carnaval), mais de là à interdire des emplois à des femmes qui portent de simples foulards par conviction religieuse, c'est une injustice et une iniquité. C'est leur imposer une double peine: celle du statut inférieur que leur confèrent les religions et celle de l'empêchement de leur libération par le travail.

Je ne porte pas le voile, et personnellement, je suis contre. Je suis athée, mais je revendique aussi une partie de mon patrimoine culturel musulman et laïque. Je suis allergique aux extrémismes religieux et politiques, qu'ils soient de droite ou de gauche. Je ne veux pas que des extrémistes musulmans parlent en mon nom et portent atteinte à ma réputation, mais je ne veux pas non plus adhérer à une charte qui, en l'état, victimise doublement la femme musulmane.

Il y a des luttes plus importantes, que d'attiser, à cause d'un bout de tissu, la haine des musulmans («ils» nous envahissent!). Celle-ci mène à la préfascisation qui gagne du terrain dans des pays comme la France. Mais le Québec n'est pas la France. Il doit certes être à cheval quant au respect des droits fondamentaux et à l'égalité des sexes. Il doit certes, être vigilant face à l'intégrisme religieux qui peut créer des cellules dormantes terroristes. Mais il doit unir son peuple, tout son peuple, et non le diviser. Il doit continuer à lutter pour l'équité salariale, pour l'intégration et contre le chômage qui atteint 30% des Québécois d'origine maghrébine, et plus encore chez la femme musulmane.

À mes concitoyens québécois, je dis oui à la laïcité intelligente et à la neutralité de l'État. Mais n'attisons pas les feux de la haine, de l'exclusion et n'encourageons pas la chasse aux sorcières.

Aux législateurs je dis: ne tombez pas dans le populisme d'extrême droite. Ne vous mettez pas au niveau des intégristes et méfiez-vous de la tyrannie de la majorité. Et surtout, dites-vous bien que cette charte, telle qu'elle est présentée aujourd'hui, ne contribuera pas à libérer la femme musulmane québécoise. Elle l'enfermera encore plus.