Tandis que les puissances occidentales attendent, sous-pèsent, hésitent, le Liban retient son souffle.

Plusieurs font des provisions, certains pensent même à faire un plein d'essence préventif (l'essence avait manqué en 2006, lors des bombardements israéliens). Bien qu'affranchi de la tutelle syrienne depuis 2005, le pays n'a pas pu esquiver les contrecoups du conflit qui déchire le pays voisin.

Certes, la guerre n'a pas (encore) franchi la frontière. Mais les dernières semaines ont été meurtrières. Plus de 70 personnes ont perdu la vie et près de 600 ont été blessées de part et d'autre de la ligne de fracture religieuse que certains exploitent à des fins politiques - celle qui sépare les sunnites des chiites. Les voitures piégées qui ont récemment explosé en des lieux stratégiques avaient pour but d'entraîner les uns et les autres dans une spirale de violence.

Depuis quelques jours cependant, le temps des voitures piégées semble appartenir à un passé étrangement lointain. Après tout, les vaisseaux de guerre américains sont déjà là, stationnés devant nous, prêts à tirer. On a beau dire que les frappes occidentales seront limitées, on sait ici que leurs conséquences, elles, sont illimitées. «Crois-tu sérieusement que Bachar al-Assad restera les bras croisés?» me demande un voisin. «Et l'Iran? Les Iraniens parlent déjà d'attaquer Israël. Si c'est le cas, qui crois-tu que les Israéliens frapperont en retour? Le Hezbollah, bien sûr, donc le Liban!»

Dans les rues et autour des tables, la rumeur règne. Elle facilite les contacts et - Facebook aidant - traverse la capitale comme l'éclair. Chacun s'en saisit, faute de mieux. Obama déclenchera-t-il la guerre? Quelle sera la position du Hezbollah? Rivés à leur écran, c'est ce que les Libanais cherchent à savoir.

Si la posture de l'Iran en inquiète plusieurs, d'autres redoutent les manoeuvres du voisin syrien. On m'explique qu'en cas d'attaque, Damas ne pourra pas répliquer aux puissances occidentales sur le territoire syrien. Car il y a longtemps que les Américains et les Européens ont fermé leurs services consulaires et rapatrié leurs ressortissants. La riposte du régime syrien, dit-on, n'est possible qu'à condition d'exporter la guerre dans les pays voisins. Ceux qui me partagent ainsi leurs craintes estiment que le Liban sera en première ligne.

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Ville nocturne, Beyrouth se vide le soir venu. Les attentats terroristes des dernières semaines ont laissé les sensibilités à vif. Chacun minimise ses déplacements. En famille ou entre amis, on cause «pratico-pratique». Ceux qui possèdent une maison dans la montagne libanaise songent à s'y réfugier. Ceux dotés d'un passeport étranger songent à partir. Les autres redoublent d'angoisse. «Le gouvernement israélien a distribué des masques à gaz en prévision d'une attaque chimique. Nous, on n'a rien de cela!» s'indigne ma propriétaire.

Dans ces conditions de vulnérabilité, la question de la légitimité des frappes dites «punitives» paraît ridiculement abstraite. Comment, en effet, penser la légitimité d'une intervention militaire sans tenir compte de ses conséquences pour la région entière? Quel que soit le résultat de l'enquête de l'ONU, quelle que soit la décision du Conseil de sécurité, l'intervention menace de transformer le conflit syrien en guerre régionale, me confie un proche.

Comme lui, plusieurs Libanais croient que le conflit sanglant qui déchire la Syrie ne trouvera son issue qu'au terme d'un processus politique - un processus que les canons déployés en Méditerranée ne peuvent que retarder. Il faut dire qu'ils en savent quelque chose, eux qui ont vécu 15 ans de guerre civile et d'innombrables interventions étrangères.