Alors qu'Edward Snowden, l'analyste qui a révélé le programme de surveillance PRISM, est maintenant un résident temporaire de la Russie, il est important de faire le point sur cette affaire qui a donné lieu à de nombreux débordements, à la fois médiatiques et gouvernementaux, d'autant plus qu'elle s'est déroulée en parallèle au procès de Bradley Manning, soldat américain accusé et condamné pour avoir fourni des documents confidentiels à WikiLeaks en 2010.

L'affaire Snowden n'est pas aussi importante que l'affaire Manning. Manning a donné des milliers de documents liés aux guerres en Afghanistan et en Irak à WikiLeaks dans le but de dénoncer des crimes de guerre, notamment l'assassinat de civils irakiens et de journalistes par des soldats américains. Le programme PRISM, révélé par Snowden, s'il affecte la vie privée des citoyens et peut être perçu comme un abus de pouvoir, ne constitue pas un crime en soi.

Un dénonciateur n'est pas un traître. Il faut faire la différence entre un espion et un dénonciateur (ce que les anglophones appellent un whistleblower): la communication d'informations confidentielles à un ennemi de l'État est interdite aux États-Unis par la Loi sur l'espionnage de 1917, alors que la communication d'informations confidentielles aux médias dans le but de dénoncer un problème n'est pas illégale. Sinon, le journalisme d'enquête, qui a, entre autres, révélé des scandales majeurs comme le massacre de My Lai et la torture à la prison d'Abou Ghraïb, serait impossible. Ainsi, même si l'administration Obama utilise la Loi sur l'espionnage contre les dénonciateurs et s'ingénie à faire de Snowden (et de Manning) un traître à la nation, ce n'est pas du tout le cas.

Les Américains préfèrent la sécurité à la liberté. Pour des raisons culturelles et historiques, les Américains font peu de cas des méthodes de surveillance de leur gouvernement, même si elles sont douteuses: près de 55% d'entre eux considèrent que Snowden doit être poursuivi par la justice américaine (Pew Research Center, 17 juin 2013) même s'ils pensent que ces révélations sont d'intérêt public. Les citoyens américains, bien que fort attachés au premier amendement de leur Constitution (protégeant la liberté d'expression), sont tout à fait prêts à sacrifier leur liberté au profit de leur sécurité.

La fuite aura peu d'impact. Les systèmes de surveillance existent depuis très longtemps: qu'on pense au programme Echelon, mis en place après la Deuxième Guerre mondiale par plusieurs pays pour intercepter les communications et les analyser. La fuite de Snowden n'était donc pas une surprise: toutes les grandes puissances disposent d'un outil de surveillance des communications, à plus ou moins grande échelle (ce qui ne signifie pas pour autant que cela est acceptable ou ne devrait pas être remis en question). Elle n'aura donc pas un impact très important sur la politique étrangère américaine ou sur les autres programmes de surveillance qui sont toujours en place, aux États-Unis comme ailleurs.

Quant aux relations russo-américaines, elles ne risquent pas non plus de subir de contrecoups sérieux puisque des enjeux plus importants divisent les deux pays: le sort de Snowden ne changera pas la donne, bien qu'il pourrait contribuer au refroidissement des relations entre les États-Unis et la Russie.

Qu'est-ce que cette fuite signifie pour les citoyens? Il faut certes cesser de gonfler l'importance de l'affaire Snowden. Ce qu'il faut faire, cependant, c'est utiliser cette fuite pour exiger davantage de transparence de nos gouvernements concernant les droits fondamentaux des individus: nous devons être vigilants à cet égard pour éviter des excès pour lesquels les menaces à notre sécurité - réelles ou supposées - servent trop souvent de prétextes.

Paradoxalement, il faut également accepter les nécessités du secret en politique étrangère et en défense: on doit empêcher des gens mal intentionnés d'obtenir des informations sensibles qui pourraient mener à des catastrophes.

Le défi posé par l'affaire Snowden est donc là: allier transparence, vigilance et sécurité sans tomber dans la théorie du complot.

L'auteure est professeure de science politique à l'Université de Sherbrooke et chercheure associée à l'Observatoire sur les États-Unis de la chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM. Elle est également l'auteure du livre «Les secrets de la Maison-Blanche» (PUQ).