L'Angleterre est aujourd'hui en crise économique, et le décès de Margaret Thatcher réveille soit de la nostalgie ou de la colère chez beaucoup de Britanniques.

Dans les années 1960, le Swinging London des Beatles et des Rolling Stones constituait une ville unique au monde. C'était particulièrement le cas où nous habitions, mes parents et leurs cinq enfants, sur Flood Street, au coin de King's Road, où les boutiques psychédéliques fleurissaient. Mon père était alors, de 1964 à 1969, représentant de Radio-Canada à Londres.

Un jour de 1967, le propriétaire de la maison que nous louions, un militaire au nom de Commodore Bailey, nous a annoncé qu'il l'avait vendue et que nous devions par conséquent déménager. Le hasard a voulu que les nouveaux acheteurs étaient Dennis et Margaret Thatcher, qui ont habité la maison jusqu'à ce qu'ils déménagent au 10, Downing Street.

L'Angleterre de cette époque était loin d'être riche comme aujourd'hui. Elle se faisait dépasser sur le plan économique par plusieurs pays européens. Durant les années 1970, la compétitivité britannique déclinait, et le pays n'arrivait plus à financer ses dettes, à tel point qu'il a fait appel au Fonds monétaire international, tout comme certaines nations de la zone euro aujourd'hui.

L'arrivée au pouvoir de Mme Thatcher a changé tout cela, avec ses politiques de déréglementation, de privatisation et d'autres mesures pour augmenter la compétitivité du capital et du travail. L'impact économique a été indéniable, car depuis 1980, les citoyens anglais ont vu leurs revenus croître plus rapidement que dans les autres grands pays européens.

Les politiques de Mme Thatcher ont été aidées cependant par la montée de l'endettement privé et public en Occident, et par la globalisation des marchés. En fait, Londres a profité de ces tendances lourdes, en tant que centre financier aux avantages considérables: langue et loi anglaises, déréglementation et expertise financière à la fine pointe. Depuis 1980, le secteur de la finance a crû de 6% par année, à un rythme deux fois plus rapide que le reste de l'économie anglaise, et Londres est devenu la capitale internationale de la finance.

Le secteur financier représente aujourd'hui 10% de l'économie britannique, et une part encore plus importante de l'économie de Londres, auquel il faut ajouter tous les secteurs connexes. Les salaires très élevés associés à la finance et des taux d'intérêt favorisant la spéculation ont propulsé les prix de l'immobilier vers des sommets stratosphériques, à tel point qu'il serait inimaginable à un employé de Radio-Canada de vivre aujourd'hui au coeur de la ville.

En effet, la maison en rangée que les Thatcher ont achetée en 1967 était modeste, mais située dans un quartier équivalent à Outremont. Elle était alors évaluée à 28 000 livres, un prix comparable pour une maison semblable à Montréal à cette époque. Or, elle vaudrait probablement entre 3 et 4 millions de livres (4,7 à 6,2 millions de dollars) aujourd'hui.

Le décès de Mme Thatcher marque la fin de cette époque, qui avait permis à l'industrie financière britannique de prospérer au point de devenir obèse. Les inégalités sont aujourd'hui très importantes, le gonflement du prix des actifs profitant surtout aux plus riches.

Le règne de Mme Thatcher, ainsi que les impressionnantes forces économiques passées de Londres, est révolu. Les difficultés économiques de l'Angleterre, un des pays dont l'endettement total - privé et public - est un des plus élevés au monde, sont très importantes. Le gouvernement, les ménages et les banques sont en mode de retranchement, ce qui ne favorisera pas la croissance économique.

Les injections de liquidités de plusieurs banques centrales maintiennent pour l'instant les prix des actifs à des sommets, ce qui facilite la vie aux Britanniques endettés pour le moment. Mais on ne fait qu'acheter du temps. Malgré ses talents indéniables, Mark Carney, qui sera gouverneur de la Banque d'Angleterre en juillet prochain, aura de la difficulté à faire danser à nouveau le Swinging London...