Nous avons tous été ébranlés par les tristes histoires de Rehtaeh Parsons et Amanda Todd, ces adolescentes canadiennes qui ont mis fin à leurs jours à la suite de la publication de photos intimes d'elles sur l'internet. Pourtant, des milliers, voire des millions, d'images semblables circulent chaque jour, souvent à l'initiative d'adultes consentants.

Le scénario est assez classique : un des partenaires transmet à l'autre des images ou vidéos sexuellement explicites pour attiser la flamme et nourrir l'ivresse amoureuse. Quand la passion est à son apogée, les amants n'oseraient jamais songer que la belle puisse un jour se transformer en bête et le prince charmant en vilain crapaud.

La réalité nous rappelle toutefois que certaines unions sont éphémères et que même celles que l'on souhaitait durables ne résistent pas toujours aux zones de turbulence de la vie et se terminent dans la hargne, la colère et la rancune. De ces sombres états d'âme naît parfois un terrible désir de vengeance, d'où le phénomène de vengeance pornographique, « revenge porn », par lequel le partenaire éconduit partage les images intimes obtenues en de meilleurs jours.

Les législateurs ne sont pas insensibles à la situation. Au Canada, le Parlement a adopté en 2014 la Loi sur la protection des Canadiens contre la cybercriminalité, qui criminalise la diffusion de photos et de vidéos intimes sans le consentement de la personne qui y figure. Au chapitre du droit commun, une récente décision de la Cour supérieure de l'Ontario a fait grand bruit, alors qu'un homme a été condamné à payer plus de 140 000 $ en dommages et intérêts à son ex-amoureuse, après avoir partagé une vidéo sexuellement explicite tournée avec son consentement à l'époque de leur relation.

Pour la cour, cette affaire allait au-delà de l'atteinte à la vie privée, puisque l'action de mettre en ligne des images intimes sans permission peut être assimilée à une agression sexuelle pour ce qui est de l'impact et du préjudice.

Selon certains observateurs, ce jugement constituerait un précédent au Canada. Or, au moins un jugement semblable a déjà été rendu au Québec, une province qui fait souvent office de pionnière en matière législative et jurisprudentielle. En juillet 2009, la juge Sylviane Borenstein a en effet condamné un jeune homme de Laval à verser plus de 40 000 $, dont 10 000 $ en dommages exemplaires, dans un contexte similaire. La juge a conclu que l'homme avait porté atteinte aux droits fondamentaux de son ex-conjointe qui s'était, à juste titre, sentie trahie et humiliée, et qu'une telle conduite ne pouvait d'aucune façon être tolérée ou banalisée par les tribunaux.

Le ton et la teneur des propos exprimés par les tribunaux québécois et canadiens démontrent tout le sérieux accordé au phénomène de la revanche pornographique et la sensibilité du système judiciaire à l'égard des conséquences dévastatrices subies par les victimes. Ceci dit, le recours aux tribunaux peut s'avérer une longue, coûteuse et pénible croisade. Sans compter que la possibilité d'exécuter le jugement afin de récupérer les sommes dues est parfois illusoire.

La prévention reste donc un des meilleurs outils. L'extraordinaire site Éducaloi et celui du Centre canadien pour la protection de l'enfance offrent des conseils simples qui n'ont rien de moralisateur. Le défi est néanmoins complexe : extraire de leur conte de fées des individus dont les comportements sont dictés par leurs pulsions hormonales et une troublante insouciance. Si les sextos échangés entre adolescents font l'objet de discussions ouvertes, les campagnes de sensibilisation devraient également s'adresser aux adultes de tous âges, qui sont tout aussi nombreux à se prêter à ces petits jeux, s'exposant à de douloureux lendemains, une fois que le brasier de la passion aura tourné au feu de paille de la raison.

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