Tout récemment, le pape François a confirmé ce que chacun savait déjà: le redoux printanier verra Jean XXIII et Jean-Paul II entrer côte à côte dans le sanctoral romain. Ce double coup de canon, en réunissant deux pontifes ayant fait vibrer des cordes différentes dans le catholicisme, rassemble bien des croyants dans l'enthousiasme.

Il serait vraiment gâte-sauce de nier que ces canonisations conjointes renferment des motifs de réjouissance. Pourtant, l'événement cache, en ses replis, un risque pour l'Église. Le risque d'auréoler un héritage, celui de Jean-Paul II, avant même que l'exécuteur testamentaire ait achevé l'évaluation des biens.

Assurément, Jean-Paul II fut un grand pontife. Notamment, il a énormément écrit. Il a enseigné pendant une si longue période, en fait, et avec une telle autorité, que pour beaucoup, la théologie de l'Église, c'est la théologie de Jean-Paul II.

Or non seulement son oeuvre n'est-elle pas parfaite (comment le serait-elle?), mais le Concile Vatican II avait solennellement conclu que la pensée de l'Église ne devait jamais plus être l'affaire d'un seul théologien. Fut-il pape.

Qu'arriva-t-il en réalité? L'extraordinaire vigueur théologique accompagnant Vatican II s'est asséchée, la voix de bien des penseurs fut étouffée sous le poids de la littérature romaine.

Ainsi, actuellement, des gisements précieux dorment dans l'ombre. Des richesses de pensée que l'Église doit absolument exploiter si elle veut demeurer - certains diront redevenir - une artisane efficace du présent et de l'avenir. Dans cette perspective, ajouter un halo de lumière supplémentaire au «pape soleil» risque plus d'aveugler que de donner à voir.

Par ailleurs, l'Église n'est pas une démocratie, mais ce n'est pas une monarchie absolue non plus. Aucun parti d'opposition ne participe au gouvernement de l'Église, mais l'autorité ne devrait pas se concentrer en un seul lieu. Pour qui cherche à vivre dans les pas du Christ, plusieurs lieux font autorité diversement: les Écritures, les différents courants de la Tradition, l'exemple des saints, la raison humaine, le Magistère, le «sens de la foi» de l'ensemble des croyants. Et surtout: la conscience individuelle.

Historiquement, pour des raisons qui ont surtout à voir avec l'exercice du pouvoir, tous les lieux d'autorité sont passés, plus ou moins, entre les mains de Rome. Les Écritures? Le Magistère tranche quant aux interprétations justes ou déviantes. La Tradition? Il en fixe les contours. La conscience individuelle? Celle-ci est souveraine... mais si elle s'oppose à l'enseignement de Rome, elle est erronée et doit être redressée.

Bref, Rome tâtonne encore à la recherche d'une articulation judicieuse des différentes sources d'autorité dans l'Église. La canonisation précoce de Jean-Paul II pourrait la ralentir dans son travail de conversion. Car à l'autorité souvent démesurée que l'on prête au Saint-Père s'ajoutera celle du saint. Dans ce contexte, il sera plus difficile de laisser dans l'assiette les morceaux de son enseignement qui se révéleront, à l'examen, moins nutritifs que d'autres.

Si Médiafilm s'autorise une période de discernement de 15 ans avant d'accoler sa célèbre cote «chef d'oeuvre» à une oeuvre cinématographique, il me semble que l'Église pourrait prendre quelques décennies avant d'installer une personnalité aussi complexe que Jean-Paul II sur un nuage jouxtant celui de la Vierge Marie.

Heureusement, nul risque de sacralisation de l'héritage de Jean-Paul II pour l'instant. Car François y fait barrage: il décentralise l'Église et enseigne que la fidélité ne tient pas au fait d'être en accord avec la hiérarchie. Bref, en rappelant que le Vatican n'est pas Versailles, il constitue l'antidote aux possibles effets secondaires de la canonisation de Jean-Paul II. Mais François n'est pas éternel. Et son autorité n'est pas... absolue!

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