Un mois après l'inauguration du nouveau pontificat, quelques notes discordantes se sont mêlées à l'immense clameur d'enthousiasme soulevée par l'élection du pape François. C'était prévisible: on ne va jamais assez loin à gauche ou à droite, assez vite en avant ou en arrière au goût de certains. Cependant, le charme opère toujours largement.

Tout de même, le premier symptôme d'une réaction inquiétante face au «style François» s'est manifesté quelques jours seulement après son élection. Un essayiste italien, Magdi Allam, Égyptien d'origine et fraîchement converti de l'islam au catholicisme, a claqué la porte de l'Église à grand fracas. Pourquoi? Essentiellement parce que le nouveau pape s'est montré conciliant envers l'islam, et parce que l'Église manquerait de fermeté doctrinale, pècherait par relativisme - accusation hallucinante considérée du Québec!

Un peu plus et M. Allam reproche à l'Église de ne pas jeter un regard en noir et blanc sur ses membres et sur ses interlocuteurs des autres religions. De ne pas séparer avec assez de tranchant les rebelles des fidèles.

Il faut dire que ce serait tellement plus simple s'il en allait ainsi. Finis les débats interminables, adieu le risque d'être complaisant envers de dangereux «impies». L'Église bénéficierait alors aussi d'une image de marque clairement définie, susceptible de l'aider à bien se positionner dans le marché des religions actuel.

Mais être persuadé d'avoir seul raison, de posséder la vérité entre ses poings, de faire partie d'une institution dont tous les membres devraient brandir cette vérité comme un pistolet-laser, voilà bien le «côté obscur de la foi». Ou plutôt d'une crédulité qui cesse alors d'être foi en se détournant du mystère de Dieu pour adorer, sous forme d'idole, sa propre soif de domination.

Affirmer que M. Allam est affecté par cette «mentalité d'empire», qui sévit par ailleurs bien au-delà de la sphère religieuse, serait un jugement téméraire et mesquin. Seulement, le fait qu'il ait quitté la table de discussion alors que le nouveau pape tente justement d'y faire venir le plus d'interlocuteurs possible me semble symboliser une tentation récurrente: celle de fuir les difficultés inhérentes à la quête de fraternité universelle, d'unité malgré les différences, pour se réfugier dans un couvent identitaire.

Tant les institutions que les personnes ou les sociétés modernes gagnent en maturité en intégrant de mieux en mieux, sans compromettre leur ADN, les tensions naturelles se manifestant en elles-mêmes et dans leurs rapports avec les autres. Saborder cette maturation n'est pas du conservatisme (en soi légitime), mais une régression vers l'intolérance et l'idéologie. C'est pourquoi le respect des opinions de tous n'implique pas que l'on néglige de s'opposer à ce penchant.

Si l'Église prend au sérieux le fait qu'elle doit être avant tout fidèle à sa mission d'annoncer l'Évangile en prêchant par l'exemple, elle n'a pas à s'inscrire dans une logique de guerre marchande ou politique. Elle est dégagée de la pression, que connaissent les acteurs économiques et politiques, de dominer la concurrence.

François comprend cela comme nul autre. Avant d'être élu, il a émis le souhait que l'Église sorte de son «narcissisme théologique» pour s'aventurer dans les «périphéries» humaines. Qu'elle révise sa perception d'elle-même et son rapport au monde.

De fait, en invitant à la concertation et à la lutte contre toute marginalisation, François semble décidé à combattre du même coup la prolifération des «étoiles noires» cancéreuses de la mentalité d'empire. Des contre-attaques sont à prévoir, mais pour l'instant, «l'esprit François» possède une force rassembleuse, la meilleure défense possible contre «l'esprit d'excommunication».

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