Un bien étrange coup d'État vient de se produire en Égypte. Sous prétexte d'une montée du chaos - minutieusement organisée par l'opposition et l'armée - la «rue» aurait «poursuivi» le processus révolutionnaire entamé au début de 2011 et «chassé» le président légitime. C'est une fable.

En Égypte, une seule institution est à la fois organisée et puissante: l'armée. Elle domine et contrôle la vie politique depuis la chute de la monarchie en 1952 et détient une part considérable de l'économie. Elle dispose de la force militaire. En face, rien ou presque: les partis traditionnels sont des coquilles vides, la société civile est vigoureuse mais désorganisée. Il reste les Frères musulmans, majoritaires au sein de la population, mais sans relais là où cela compte, dans les hautes sphères du pouvoir.

Il est donc facile, en 2011, pour l'armée d'abandonner Hosni Moubarak, un homme fini et discrédité. Cela ne porte pas à conséquence sur la réalité du pouvoir. La «révolution» change un homme, une équipe, mais pas le système. 

On n'est pas en Iran. L'armée accepte le jeu démocratique et pousse déjà ses hommes en avant. Elle croit gagner. Toutefois, les élections de 2012 troublent le jeu. Aux législatives, les Frères musulmans et les salafistes, ces islamistes radicaux, emportent 66% des suffrages. Aux présidentielles, Mohammed Morsi, candidat des Frères musulmans, gagne avec 52%. Forts de ces deux mandats, les islamistes estiment être en droit d'appliquer leurs options et de s'attaquer au système. Normal. Ils chassent les principaux dirigeants de l'armée et un homme plutôt jeune, apparemment apolitique, le général Al-Sissi, est nommé à sa tête.

Sur le plan institutionnel, le nouveau gouvernement agit. Le président place ses gens aux postes-clés. Il s'arroge des pouvoirs spéciaux et il force l'adoption d'une constitution rédigée rapidement et rejetée par les éléments libéraux et laïcs de la société. Première erreur. La deuxième lui est fatale. L'opposition reprend les manifestations, et les morts se comptent par dizaines. Le général Al-Sissi joue l'entremetteur - l'est-il vraiment ou est-il déjà de mèche avec les opposants? - entre le pouvoir et l'opposition. Morsi accepte une rencontre, mais annule à la dernière minute. Le général est humilié et il en a parlé mercredi soir. Le sort de Morsi est scellé, car ni l'armée ni l'opposition n'ont jamais accepté la victoire des islamistes. Ils n'ont eu de cesse de saboter son action.

Où cela mène-t-il? Dans son éditorial sur la crise en Égypte, le quotidien Le Monde écrit que «ce n'est pas un quarteron de généraux isolés qui a mis fin au mandat de Morsi. Encouragée par la mobilisation populaire, l'armée a agi avec l'appui des principales forces religieuses du pays, d'une bonne partie de l'opposition, y compris salafiste, et de l'institution judiciaire.» C'est juste. Et alors? Cette unanimité n'a rien de rassurant. Au Chili, en 1973, le général Augusto Pinochet, nommé par Salvador Allende, qui le croyait apolitique, le renverse dans un sanglant coup d'État. Les partis de droite, majoritaires dans l'électorat, les forces armées, le cardinal-archevêque, les grands médias, une majorité de la population le félicite pour avoir «sauvé» le Chili du communisme. On connaît la suite.

L'Histoire ne se répète pas, et l'Égypte n'est pas le Chili. Pour autant, souligner le caractère «unanime» de l'opposition à Morsi fait fi des vraies questions. La première est que les Frères musulmans ont gagné les scrutins. Ils ont la légitimité pour eux, n'en déplaise aux opposants. La deuxième porte sur le processus de retour à la démocratie. Qui réécrira les règles et au profit de qui? Morsi pourra-t-il se représenter? Et les Frères musulmans? Deux ans après la révolution, l'Égypte est de retour à la case départ.

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