Quelques nations appuient maintenant l'idée de frappes militaires en Syrie ou, à tout le moins, d'une forme de réplique. Poussée par Paris qui joue le rôle du va-t-en-guerre, l'Union européenne soutient une «réaction claire et forte», mais pas nécessairement militaire (?). Et le secrétaire d'État américain, John Kerry, aurait conscrit le Qatar et l'Arabie saoudite.

Cependant, ces appuis frisent le degré zéro de l'enthousiasme et, à d'autres niveaux, on ne voit que réticences.

Celle des peuples américain et français fatigués de la guerre en général et du Moyen-Orient en particulier. Mais aussi la réticence étonnante du chef d'état-major des États-Unis, Martin Dempsey. Le général a publiquement fait l'inventaire des conséquences possibles d'une frappe: aucune ne lui paraît positive. Et il a conclu: «Un engagement plus profond sera difficile à éviter».

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Il y a autre chose encore. Et c'est la conscience que nous assistons à un tournant historique.

Aux derniers mois de la Seconde Guerre mondiale, la capacité et donc la responsabilité de «policer» le monde sont en pratique passées de la Grande-Bretagne aux États-Unis. De la même façon, l'affaire syrienne pourrait bien officialiser la mise à la quasi-retraite du gendarme américain. Et, par extension, occidental.

Il y a déjà des décennies, en effet, que la machine de guerre et la diplomatie américaines ne sont plus ni victorieuses ni respectées. Légalement, les deux Corée sont toujours en guerre... et l'une des deux nargue Washington sans arrêt. Le Vietnam a été perdu. La guerre froide a été «gagnée» parce que l'URSS a eu le bon goût d'imploser. Le Printemps arabe se joue toujours entre islamistes téléguidés par des théocraties et hommes forts locaux. Enfin, faut-il rappeler l'Afghanistan et l'Irak?

Aujourd'hui, intervenir en Syrie ne ferait que confirmer cette impuissance. «Il faudrait des frappes juste assez fortes pour qu'on ne fasse pas rire de nous», dit, désabusé, un proche de Barack Obama (The Economist).

«Les civilisations ne meurent pas assassinées, elles se suicident», a fameusement énoncé l'historien britannique Arnold J. Toynbee. Or, on ne finirait plus d'énumérer les erreurs de l'Amérique depuis 1945, souvent imputables à la cupidité, à l'orgueil et à l'ignorance, parfois à la naïveté. En outre, la critique de l'Amérique par elle-même, assourdissante, parfois absurde au point d'être démente, a lentement sapé le moral de la nation et, à l'extérieur, alimenté la haine. Enfin, George W. Bush a achevé le travail avec sa fixation irakienne, anéantissant ce qui restait de la crédibilité - et du Trésor public - des États-Unis.

Beaucoup applaudiront cette déconfiture. Ils devraient plutôt dresser la liste des États capables (ou déjà engagés dans cette voie) de jouer les agents de sécurité au niveau global ou régional.

Cela mettra une fin abrupte à l'ovation.