En octobre 1962, lors de la crise des missiles de Cuba, Fidel Castro a secrètement demandé au leader soviétique d'employer l'arme nucléaire contre les États-Unis. L'affaire n'a été connue que des années plus tard, dévoilée par Nikita Khrouchtchev lui-même. Question: que se serait-il produit si cette... communication diplomatique avait été révélée au monde entier au beau milieu de la crise, alors que, à Washington comme à Moscou, des doigts nerveux étaient posés sur le bouton?

Un petit moment de réflexion...

Ce qui nous mène à la dernière opération de WikiLeaks, qui divulgue cette fois 251 287 communications échangées entre 270 antennes diplomatiques américaines et le département d'État à Washington. Elles seront rendues publiques durant toute la semaine; 2648 «câbles» concerneraient le Canada.

On tient pour acquis que la transparence doit définir la conduite des gouvernants, cette transparence ne devant connaître aucune limite, en particulier dans son incarnation médiatique. Depuis sa fondation à la fin de 2006, WikiLeaks s'est fait le champion de la transparence absolue, assumant ce rôle avec brio.

Certes, au fil des années et des divulgations, certaines particularités du travail de WikiLeaks ont un peu agacé. Mais, dans la balance des avantages et des inconvénients, il a été jugé que les premiers l'emportaient largement sur les seconds. Et c'était le cas, en effet. Cette fois, cependant, le sentiment dominant en est un de réserve, y compris dans beaucoup de médias.

Pourquoi?

Parce que la diplomatie est un domaine très particulier. Parce que, depuis que des États négocient avec d'autres, une part de secret a toujours été nécessaire pour atteindre un résultat, parfois même éviter des guerres. Parce que les fameuses valises diplomatiques (aujourd'hui béantes!) n'ont pas été inventées pour rien.

Ce que l'on sait des révélations de WikiLeaks est de deux ordres.

Le premier tient du divertissement: la sémillante infirmière ukrainienne de Mouammar Kadhafi ou la prestation de Dmitri Medvedev dans le rôle de Robin font bien rigoler dans les chaumières... Mais il est beaucoup plus grave de révéler à la face du monde que le président yéménite, Ali Abdullah Saleh, a menti à ses commettants pour «couvrir» les opérations américaines. Ou que des États arabes détestent suffisamment Mahmoud Ahmadinejad pour demander à Washington de passer l'Iran à la trappe (ce qui n'est pas sans rappeler l'épisode cubain).

Hier, la secrétaire d'État, Hillary Clinton, a insisté sur le fait que la politique étrangère américaine s'écrit à Washington sous sa gouverne et celle du président - non dans des communications de bas niveau. Mais elle ne pourra prévenir une montée de la méfiance globale. De fait, en ce qui concerne la transparence, c'est bel et bien à un resserrement du secret diplomatique (d'ailleurs déjà décrété par Washington) que nous aurons droit.

Ce n'était vraiment pas le but à atteindre.