Stéphane Lévesque

Rien à négocier

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

On sait déjà que le gouvernement s'apprête à modifier le projet de charte. On prépare probablement déjà le libellé des articles; il y a fort à parier que le crucifix prendra le bord à l'Assemblée nationale et que le droit de retrait des municipalités sera aboli. Ces deux modifications plairont vraisemblablement à ceux qui étaient pour la charte et, en plus, elles rallieront les Québécois qui émettaient des réserves parce que ladite charte était trop molle, trop permissive à l'endroit des récalcitrants. Selon moi, ces deux propositions de changements permettront au gouvernement Marois de se sentir suffisamment appuyé pour déclencher des élections et pour espérer remporter la majorité des sièges. Il faudra que l'adoption de la charte serve de motif essentiel au déclenchement des élections et, en partant de cela, la négociation avec les partis d'opposition n'a pas lieu d'être. Il n'y a rien à négocier, à moins que ce soit sur les deux modifications que l'équipe Marois a déjà en tête. On peut leur laisser croire qu'ils ont eu leur mot à dire, mais, que cela fasse ou non l'affaire du PLQ et de la CAQ, la décision est déjà prise et le gouvernement aura l'appui populaire après l'adoption des deux amendements.

Une entente avant les élections

Caroline Morgan

Traductrice

Le Parti Québécois aurait tout intérêt à négocier une entente qui permettrait de faire adopter une loi par une majorité d'élus. Puisque le PQ tient à déposer son propre projet de loi, cette négociation pourrait avoir lieu pendant l'examen parlementaire qui suivra. Chacun a sûrement sa propre conception du compromis idéal, y compris ceux pour qui le seul compromis acceptable serait de jeter à la poubelle toute disposition relative aux signes religieux. Cependant, le compromis susceptible de rallier le plus de gens se situerait entre le projet du PQ et la proposition de la CAQ. Par exemple, les travailleurs visés pourraient inclure les figures d'autorité (policiers, magistrats, etc.), les enseignants et directeurs, les éducatrices de garderie et les fonctionnaires, au moins ceux qui servent le public face à face. La pire erreur que le PQ pourrait faire serait de se présenter en élections sans avoir tout tenté pour faire adopter une charte. S'il le fait, il aura trahi les partisans de la laïcité qui luttent depuis des semaines sur tous les fronts médiatiques, en plus d'occulter d'autres enjeux, comme l'économie, qui doivent impérativement être débattus pendant toute campagne électorale. Une telle décision se retournerait probablement contre lui.

Caroline Morgan

Un compromis impossible

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser

Dans le cadre du débat sur la charte des valeurs, deux éléments font obstacle à la recherche d'un compromis. Pour qu'il y ait compromis, il faudrait d'abord que le parti au pouvoir veuille négocier. Or, jusqu'ici, le débat sur la charte des valeurs semble très bien servir le Parti Québécois. Comme en font foi les sondages, la politique de la division (wedge politics) pourrait lui apporter à court terme le mandat majoritaire souhaité. D'où, on le comprendra, le peu d'empressement du gouvernement Marois à vouloir enterrer le débat sur la charte des valeurs en négociant avec la Coalition avenir Québec ou le Parti libéral. Un deuxième élément non négligeable, c'est que dans une société libre et démocratique, la marge de négociation des politiciens est balisée par la Constitution. Les politiciens peuvent bien négocier entre eux ce qu'ils veulent, ils doivent le faire en respectant les Chartes québécoises et canadiennes des droits et libertés. Or, selon plusieurs spécialistes, aucune des propositions sur la table ne semble pouvoir satisfaire cette condition: les droits fondamentaux des citoyens ne se négocient pas. Cela dit, au stade où nous en sommes, le Québec s'est déjà beaucoup trop compromis pour en arriver à une entente satisfaisant l'ensemble des Québécois.

D'autres priorités

Jean Botari

Préposé aux bénéficiaires

La proposition des partis d'opposition de négocier des compromis sur la future charte des valeurs québécoises ainsi que l'admission qu'une telle loi est nécessaire sont, selon moi, des preuves d'ouverture de leur part. Il est clair que la consultation publique, à laquelle 26 000 personnes ont pris la peine de participer de façon volontaire, a influencé cette volonté de compromis. De plus, il est grand temps de décider si cette proposition modifiée ou non doit devenir une loi, car il y a plusieurs autres priorités auxquelles le gouvernement devrait s'attaquer. Les conditions de vie de nos aînés, l'éducation, ainsi que l'économie ne sont que quelques exemples de dossiers laissés en plan depuis que cette charte prend toute la place médiatique, et illustrent le temps que nos élus pourraient et devraient consacrer à d'autres dossiers.

Une question de liberté

Raymond Gravel

Prêtre, Diocèse de Joliette

Lors de sa conférence de presse sur la charte des valeurs québécoises, le ministre des Institutions démocratiques, Bernard Drainville, a dit que les personnes qui ont émis des commentaires sur le site du gouvernement sont représentatifs de l'opinion des Québécois. En entendant de tels propos, j'ai eu l'impression de faire un cauchemar. Il est grand temps que les partis d'opposition jouent véritablement leur rôle en proposant au gouvernement des modifications importantes à ce projet de loi qui divise beaucoup plus qu'il ne rassemble.Tout d'abord, il ne s'agit pas d'une charte des valeurs, mais bien d'une charte de la laïcité. Ensuite, pour assurer la neutralité de l'État, nous n'avons pas à faire disparaître les signes et les symboles religieux des personnes qui y travaillent. Personnellement, quand je vois des athées et des croyants de diverses confessions travailler ensemble, sans discrimination aucune, je crois qu'on peut parler de neutralité de l'État, dans le respect de nos différences. Encore une fois, ce n'est pas au gouvernement de définir les valeurs des gens, ni de dicter ce qu'ils peuvent porter à leur travail. Il est vrai que je ne peux imposer ma foi à personne. En revanche, je n'accepterai jamais qu'on m'enlève le droit de l'exprimer publiquement. C'est une question de dignité et de liberté.

Photothèque Le Soleil

Raymond Gravel