Était-ce inapproprié de la part du député caquiste Jacques Duchesneau d'établir un lien entre la consommation de cocaïne de l'ex-ministre André Boisclair et la subvention de 2,5 millions$ qu'il a octroyée à son ami Paul Sauvé quatre jours avant les élections de 2003?

LES PREUVES, S.V.P. !

Jana Havrankova

Médecin endocrinologue 

À première vue, les liens tissés par Jacques Duchesneau semblent disparates. La subvention accordée par André Boisclair profitait à l'entreprise de Paul Sauvé; cette entreprise a été infiltrée par les Hells Angels; les Hells trafiquent de la drogue; André Boisclair a déjà consommé de la cocaïne. Donc, André Boisclair a frayé avec le crime organisé, laisse supposer le député de la CAQ. Cela demande des preuves, bien entendu. Toutefois, André Boisclair n'a jamais répondu à la question: «Comment vous procuriez-vous la cocaïne lorsque vous en consommiez?» Pour ce qui est de la subvention, de quoi André Boisclair est-il coupable? A-t-il signé précipitamment, quatre jours avant les élections, pour s'assurer que cette subvention soit octroyée par le gouvernement suivant? Le délai entre la demande et l'octroi de l'aide financière à l'église Saint-James, qui avait bien besoin de mise en valeur, pourrait nous renseigner là-dessus. Mais au-delà de la précipitation potentielle dans le règlement de cette demande, favorisant un ami,

les liens que Jacques Duchesneau suggère restent à démontrer. Jacques Duchesneau, qui jouit d'une grande confiance du public, met en jeu sa crédibilité. Il devrait fournir au plus vite des preuves de ses allégations ou s'excuser sans tarder d'être allé trop loin.

L'INTIMIDATION EN POLITIQUE

Guy Ferland

Professeur

de philosophie au département de philosophie au collège Lionel-Groulx.

On parle beaucoup de l'intimidation à l'école et sur internet. On discute beaucoup moins de l'intimidation

en politique et dans la vie publique en général. Pourtant, les propos de Jacques Duchesneau, qui associe

un événement passé peu glorieux de la vie privée d'André Boisclair à une accusation à peine déguisée

de corruption par association, ressemblent étrangement à de l'intimidation verbale. C'est d'ailleurs l'exemple de discours que donnent presque tous les députés à l'Assemblée nationale et à la Chambre des communes. Les attaques contre la personne et les insinuations douteuses placent constamment les hommes et les femmes qui prennent part aux débats publics en position offensive ou défensive. Jacques Duchesneau, par ses propos déplacés, ne fait pas exception à la règle. C'est regrettable et tous les politiciens devraient s'excuser publiquement lorsqu'ils accusent injustement n'importe quel individu. Les représentants du peuple devraient en effet donner l'exemple d'intégrité dans leur vie publique et de retenue dans leurs propos. C'est idéaliste, j'en conviens, surtout dans une société comme la nôtre où l'intimidation se vit quotidiennement au travail, à la maison, à l'école et sur les réseaux sociaux.

RÉPUTATION ET REVENUS EN JEU

Michel Kelly-Gagnon 

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.

Sans même spéculer sur les impacts psychologiques ou émotionnels que peut avoir la déclaration de M. Duchesneau pour les parties en cause, on peut observer son impact dévastateur sur l'un des actifs les plus précieux que possède M. Boisclair, soit sa réputation. Cette dernière va elle-même avoir un impact direct sur la capacité de M. Boisclair à générer des revenus à l'avenir. Or, il est encore jeune. Les enjeux sont énormes pour lui. Si M. Duchesneau dispose d'informations crédibles et précises concernant un acte criminel qu'aurait commis M. Boisclair - car octroyer des fonds publics dans le but de sécuriser une consommation de cocaïne est sans nul doute un acte criminel -, il devrait immédiatement les partager avec les autorités policières afin qu'une enquête soit ouverte. Mais s'il ne dispose pas de telles informations, il devrait s'excuser et se rétracter sans délai. Autrement, sa déclaration va, selon toute vraisemblance, finir par coûter à M. Boisclair des centaines de milliers de dollars en perte de revenus futurs. Si M. Boisclair perd cette bataille devant le tribunal de l'opinion publique, sa carrière s'en trouvera plus ou moins anéantie.

M. Duchesneau, un homme intelligent, sait ou devrait savoir cela. Pour cette raison, la balle est indéniablement dans son camp.

LA PRUDENCE S'IMPOSE

Donald Riendeau

Directeur général de l'Institut de la confiance dans les organisations.

Le témoignage de Paul Sauvé est inquiétant et soulève plusieurs questions. Premièrement, l'octroi d'un contrat aussi important à quelques jours des élections était-il justifié par une urgence quelconque ou est-ce une pratique courante, tous partis confondus ? Ensuite, il est important de vérifier si MM. Sauvé et Boisclair étaient véritablement des amis, car le cas échéant, M. Boisclair se serait retrouvé en situation de conflit d'intérêts : en matière déontologique le principe est de ne pas traiter le dossier d'un proche. Finalement, pour ce qui est du lien entre la consommation de drogue et cette subvention, il est vrai que la question peut se poser puisque le crime organisé peut potentiellement faire chanter des politiciens. Rappelons-nous le récent épisode de l'ex-maire Duplessis à Laval. Cependant, il faut être extrêmement prudent avant de lancer des accusations et des propos qui peuvent être dévastateurs sur la vie professionnelle et personnelle d'un individu, même une personne publique. Depuis une dizaine d'années, il semble que le code d'honneur et le respect entre politiciens soient disparus. Tous les coups sont permis. Les Québécois sont las de ce type d'attaque qui ne fait que contribuer à la méfiance dans notre société.

BRISER DES RÉPUTATIONS

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

La sortie de Jacques Duchesneau reflète un fléau de plus en plus répandu depuis l'existence de la commission Charbonneau: on condamne des personnes ou des entreprises sur le simple fait que leur nom est cité aux audiences publiques. Pire encore, certains personnes établissent des liens entre des situations, des individus et des organisations sans aucune preuve, simplement en associant des faits qui n'ont aucun lien entre eux. C'est ce que j'appelle l'art de briser des réputations. Cela ressemble à l'inquisition du tribunal de l'opinion publique, et ses dérives comme au temps du maccarthysme aux États-Unis dans les années 50 et sa paranoïa anti-communiste. André Boisclair a fait une faute en consommant de la cocaïne lorsqu'il était ministre, il l'a déjà avoué publiquement. Est-il pour autant un complice des Hells Angels qui avait infiltré l'entreprise de l'un de ses amis quelques années plus tard ? Justin Trudeau est-il à la solde du crime organisé parce qu'il a fumé du pot et qu'il réclame non seulement sa légalisation, mais aussi sa commercialisation ? Il est temps de cesser de briser des réputations en faisant des liens par association. Cette manoeuvre n'est pas digne de Jacques Duchesneau, le député. Il devrait reconnaître sa faute et s'en excuser publiquement.

CALOMNIEZ, CALOMNIEZ...

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP à Québec et fellow senior de l'Institut Fraser.

Derrière sa prétention à la sauvegarde du bien public, on aura compris que Jacques Duchesneau est de cette race de politiciens pour qui tous les coups sont permis. Une journée, il coule son propre rapport d'enquête aux médias. Le lendemain, il se plaint à l'émission Tout le monde en parle que des journalistes cherchent à le discréditer et à l'intimider. Cette fois, il convoque la presse pour éclabousser un adversaire politique. Tout porte à croire que le procès d'intention est l'arme privilégiée du soi-disant «super héros» de la CAQ. Ne vous méprenez pas, je déteste la langue de bois. Je suis de ceux qui croient à la liberté d'expression chez les politiciens. Par contre, la liberté de parole d'un élu n'est pas sans limites. Ses adversaires ont aussi droit à la protection de leur réputation. Dans le cas présent, les affirmations et les insinuations de Duchesneau sont graves et portent atteinte à l'honnêteté d'André Boisclair. À moins qu'il puisse prouver la véracité de ses allégations, il faut s'attendre à ce qu'il retire ses propos. De toute façon, «calomniez, calomniez, il en restera toujours quelque chose»...

ET LES VRAIS ENJEUX ?

Francine Laplante

Femme d'affaires

Je ne sais pas si le mot «inapproprié» est le mot juste, mais je trouve que les liens ont été établis trop rapidement et qu'ils sont même un peu tirés par les cheveux. M. Duchesneau aurait fait mieux d'attendre d'avoir des points concrets et des preuves irréfutables pour faire une sortie publique sur ses soupçons. Par contre, ce que je trouve encore plus déplorable, c'est le temps que nous accordons à ce cas! Le temps qui est monopolisé pour gérer cette affirmation, on ne parle pas encore des vrais enjeux. À mon avis, chaque minute de nos représentants élus doit être consacrée aux débats sociaux majeurs. L'Assemblée nationale est un véritable cirque où l'on débat de tout et de rien, dans un manque total de respect! Durant ce temps, on ne parle pas des vrais problèmes qui touchent directement la population...  Pour l'amour du ciel, arrêtons les enfantillages et reprenons le contrôle de notre province! (Oups! Mon commentaire est-il ostentatoire? Peut-on encore dire l'expression «l'amour du ciel»?)

PRÉMONITOIRE

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

Le député Duchesneau nous a habitués à des déclarations fracassantes de nature prémonitoire. Avant même le début de la commission Charbonneau, il en savait plus que quiconque sur l'évolution potentielle du dossier de la corruption et il nous avait préparés à en voir des vertes et des pas mûres. S'il détient des preuves concrètes de ce qu'il a avancé cette semaine, il a bien fait de révéler les faits troublants qui mettent André Boisclair dans l'eau chaude. L'infiltration du crime organisé dans les hautes sphères du gouvernement, si cela s'avère, représenterait le plus honteux des scandales. D'ailleurs, l'Agence de revenu du Canada a amené de l'eau au moulin cette semaine après que l'on ait rendu publique l'affaire Rizzuto dont tout le monde parle. Que ce soit Boisclair ou d'autres responsables de la gouvernance publique, ils doivent être dénoncés et sévèrement sanctionnés s'ils dilapident les fonds publics, surtout si les bénéficiaires sont des criminels. Le contribuable moyen est taxé au maximum et soumis régulièrement à des hausses de tarifs qui amenuisent inéluctablement son pouvoir d'achat. Conséquemment, l'argent confié aux différents gouvernements doit être géré très éthiquement, sinon la confiance, sur laquelle est basé le principe même de la taxation, s'effritera.

MANQUE DE JUGEMENT

Jean Gouin

Directeur général de la Fédération des médecins résidents du Québec

Notre système judiciaire a ceci de particulier: la preuve incombe à celui qui dénonce. Comment un homme supposément sensé comme Jacques Duchesneau peut-il porter de telles accusations à l'endroit d'André Boisclair? Un quidam qui se comporterait de la sorte se ferait poursuivre séance tenante. M, Duchesneau est considéré comme un député respectable qui s'est fait élire en se faisant comparer à Monsieur Propre. Alors, de deux choses l'une. Ou bien Jacques Duchesneau bénéficie d'informations privilégiées très précises pour se permettre de proférer ce genre d'accusations qui portent gravement à conséquence, puisqu'elles risquent de miner sérieusement la crédibilité de M. Boisclair. Monsieur Propre s'est attaqué à un représentant officiel du Québec à l'étranger et la raison de ce règlement de comptes nécessite une preuve hors de tout doute, sinon Jacques Duchesneau devra s'excuser et s'expliquer. Ou bien, il profite des largesses que lui confère son statut de député à l'Assemblée nationale en abusant de son privilège immunitaire. Son but: déséquilibrer le PQ à l'approche d'élections possibles cet automne et ainsi démontrer que la première ministre, qui multiplie les nominations partisanes pour asseoir davantage son pouvoir, ne sait pas faire les bons choix et est indigne de gouverner. M. Duchesneau devrait être ramené à l'ordre par son chef. Quoi qu'il en soit, Jacques Duchesneau a manqué de jugement.

Jean Gouin

SÉRIEUSES ALLÉGATIONS

Georges Paquet

Diplomate canadien à la retraite

Les déclarations récentes de Jacques Duchesneau peuvent toutes être prises avec le même sérieux que les précédentes. ‬S'il fallait établir une commission Charbonneau pour examiner les trouvailles et allégations de M. Duchesneau, je ne vois pas pourquoi l'examen de ses dernières allégations ne devrait pas mériter la même attention.

Archives, LeDroit

Georges Paquet

IMMORAL

Jean Bottari

Préposé aux bénéficiaires

Le fait qu'André Boisclair consommait de la cocaïne est connu par tous, il l'a lui-même admis publiquement. Par contre, selon Jacques  Duchesneau, M. Boisclair aurait accordé une généreuse subvention à un ami à quelques jours du scrutin. Ce geste n'est pas illégal en soit, mais plutôt immoral. Cela dit, je ne comprends pas le lien que veut établir M. Duchesneau entre la consommation de drogues illicites et l'octroi d'une subvention. Malgré sa grande expérience du milieu policier et une grande crédibilité, Jacques Duchesneau n'a pas fourni de preuves aux médias que l'octroi de cette subvention puisse être directement lié au monde interlope. Il fait des hypothèses et de la spéculation qui ne font que ternir les réputations. Si aucun élément de preuve n'est rendu public, Jacques Duschesneau n'aura d'autre choix que de se rétracter, sinon il fera probablement face à une poursuite au civil pour diffamation. Quant à moi, il aurait été plus habile de faire de telles déclarations durant les débats à l'Assemblée nationale, afin de bénéficier de l'immunité accordée aux élus qui, du coup, les mets aussi à l'abri des poursuites.

QUE LA CAQ VIDE SON SAC

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec

Il est évident qu'un ministre qui a consommé de la cocaïne se rend vulnérable au chantage et à l'extorsion par la mafia. Mais au lieu de jouer à l'effeuilleuse et d'égrainer les soupçons, le shérif Duchesneau - en assumant qu'il sait quelque chose - et son acolyte Caire devraient vider leur sac à la police et laisser les forces constabulaires faire leur travail. Espérons qu'ils ne font pas que spéculer ouvertement pour salir des réputations à des fins bassement politiques pour s'attirer désespérément de l'attention médiatique alors que les sondages annoncent la décimation du caucus caquiste. Et pendant ce temps, on ne parle pas des vrais problèmes du Québec, comme l'état lamentable de notre système de santé et des finances publiques et le fardeau toujours plus lourd des impôts sur la classe moyenne.

DES QUESTIONS LÉGITIMES

François Bonnardel  

Député de la Coalition avenir Québec dans Granby 

Le chef de la Coalition avenir Québec, François Legault, a rappelé jeudi en point de presse qu'il avait tout à fait confiance dans le jugement de son député Jacques Duchesneau et qu'il endossait son droit de soulever des questions à propos de l'ex-chef du Parti québécois, M. André Boisclair. Les députés de la Coalition endossent cette prise de position où  le chef a tenu à souligner publiquement son appui à son député et défendre son droit de poser des questions à propos de faits troublants. Pendant ce temps, Mme Marois a refusé en chambre non seulement de répondre aux questions du chef de la Coalition, mais elle ne s'est même pas levée pour se porter à la défense de M. Boisclair, qu'elle a pourtant nommé délégué du Québec à New York après la prise du pouvoir par le Parti québécois. Il faut rappeler notre droit et notre responsabilité, en tant que parlementaire, de poser des questions sur le comportement de quelqu'un qui, quatre jours avant les élections de 2003, a consenti une subvention à un ami proche. Le gouvernement doit rappeler M. Boisclair afin qu'il puisse faire toute la lumière sur ses agissements. Malheureusement, le gouvernement ne semble pas pressé de donner suite à cette demande légitime.

photo archives La Voix de l'Est

Le député caquiste de Granby, François Bonnardel.

Un minimum de civilité !

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO


Je pense que si M. Duchesneau ne peut présenter très rapidement des preuves solides contre M. Boisclair, il doit se rétracter se rétracter et s'excuser.