Quelle image gardez-vous de l'ex-première ministre britannique Margaret Thatcher ? Croyez-vous qu'elle a laissé un héritage bénéfique pour la Grande-Bretagne ? Aura-t-elle apporté une contribution positive sur la scène internationale?

Khalid Adnane

Économiste à l'École de politique appliquée de l'Université de Sherbrooke

UNE LIBÉRALE CONVAINCUE!

L'héritage économique de l'ancienne première ministre britannique Margaret Thatcher est indéniable. Elle prend le pouvoir alors que son pays se trouve dans une situation économique précaire (qui nécessitera même l'aide du FMI) et les changements majeurs qu'elle va réaliser vont redresser l'économie de son pays, en la modernisant et en la dotant d'un secteur financier très important, ce qui a permis à Londres « la City », de devenir aujourd'hui une place financière de choix aux côtés de Wall Street. Cependant, ces transformations ont eu des coûts sociaux importants, comme en témoigne, entre autres, la hausse des inégalités sociales dans le pays. De plus, depuis 2008, on réalise aussi que cette conversion de l'économie britannique vers le secteur des services, en particulier, la finance et les assurances, peut parfois devenir hasardeuse et rendre l'ensemble de l'économie nettement fragile. Le lent redressement de l'économie britannique depuis 2008 est un bon indicateur à cet égard. Un fait demeure : c'était une politicienne avec une redoutable détermination. Contrairement à bien des politiciens aujourd'hui, elle ne baignait pas dans les formules toutes prêtes, et lorsqu'elle était convaincue de la justesse de sa vision, elle prenait les décisions qui s'imposaient pour la mener à bien, même si celles-ci étaient impopulaires. D'ailleurs, elle a déjà affirmé être pour le consensus, du moment que ce dernier était sur ce qu'elle voulait faire!

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Khalid Adnane

Gaétan Lafrance

Professeur honoraire à l'INRS-EMT



LA GUERRE POUR UN TAS DE ROCHES

Dans le top trois des guerres choquantes qui ont marqué mon existence, celle des Malouines en fait partie. Le débarquement argentin dans l'archipel en 1982 était profondément stupide. Dans l'échelle du temps, ce territoire a été occupé essentiellement par des Anglais. Une marche dans Port Stanley m'a convaincu que le sang qui coule dans les veines des quelques milliers de résidants est de pure tradition britannique et moins mélangé que celui des Londoniens. Mais fait-on une guerre pour un tas de roches, situées au milieu de nulle part, sans intérêt stratégique particulier? Ça n'a pas empêché Margaret Thatcher de bien dormir. Ce seul événement traduit le caractère particulier de la super Dame. Quand un empire s'effondre, ça prend un remède de cheval pour le remettre sur les rails. En ce sens, Mme Thatcher a été la vétérinaire providentielle. Dans plusieurs cas, ses mesures conservatrices étaient plus pertinentes que celles de Reagan. Avec le recul qui peut contester le bien-fondé de privatiser la production de charbon en Angleterre?

Mais dans toute action, elle a procédé comme un commandant en chef des forces armées. Elle s'est certainement réjouie quand Tony Blair a appuyé George Bush pour l'invasion de l'Irak. Mais la guerre fait des dommages. Selon les estimations, les morts directs et indirects dans la guerre des Falkland ont dépassé en nombre la population locale. Si un jour vous passez par là, n'allez pas sur les plages, c'est défendu à cause des milliers de mines anti personnelles enfouies dans le sable.

Michel Kelly-Gagnon

PDG de l'Institut économique de Montréal, il s'exprime à titre personnel.

DES ANGLAIS FIERS

En 1979, Margaret Thatcher prenait la tête d'un pays en déclin. Jadis un puissant empire, cette nation était désormais décrite comme « l'homme malade de l'Europe ». La Grande-Bretagne figurait alors au 19e rang des 22 pays de l'OCDE pour sa richesse. À la veille de son élection, une grève générale - Winter of Discontent - a été déclarée et les services publics ont été paralysés. Même les morts en ont souffert puisque les fossoyeurs étaient aussi en débrayage! En face de cette crise, Margaret Thatcher a entrepris des réformes basées sur la liberté économique. Depuis les années 1940, le gouvernement s'était approprié des secteurs d'activité comme les télécommunications, l'électricité, la production d'acier, d'automobiles et d'avions. Subventionnées à outrance par les contribuables, ces sociétés d'État ont été privatisées. Elle a aussi donné le choix aux travailleurs de se syndiquer ou non, en plus d'instaurer une plus grande démocratie syndicale (une réforme d'ailleurs souhaitée par 83 % des Québécois). Margaret Thatcher a sorti la Grande-Bretagne de sa torpeur et redonné fierté et confiance aux Anglais. À la fin du règne des conservateurs qu'elle avait initié 18 ans plus tôt, le pays s'était hissé au 2e rang des pays de l'OCDE.

Stéphane Lévesque

Enseignant en français au secondaire à L'Assomption

DE LA SUITE DANS LES IDÉES

L'image qui me revient le plus en tête quand je me remémore Mme Thatcher, c'est son désir indéfectible de suivre ses convictions, ses idées. Peu importe les sondages, le désir d'être réélue ou la grogne populaire, elle avait un plan et elle faisait tout en son pouvoir afin de le mettre en place pour le bien de la Grande-Bretagne. Brian Mulroney, l'ex-premier ministre canadien, l'a très bien illustré lorsqu'il a cité la Dame de fer à la suite d'une entrevue accordée en Afrique du Sud dans les années 80. Lors du processus visant à mettre fin à l'apartheid, un journaliste a demandé à Mme Thatcher ce qu'elle pensait du fait d'avoir été la seule à voter contre un projet qui faisait pourtant pratiquement l'unanimité. Elle a répondu que tous ceux qui s'étaient prononcés en faveur du projet s'étaient trompés. Elle avait le cran de faire face à la musique et d'assumer ses positions. Pas de «avance-recule» avec elle... Sans pour autant appuyer toutes ses idées, j'admire cette ténacité et cette force de caractère qui lui ont valu son surnom (fort mérité par ailleurs) de Dame de fer. De nos jours, les politiciens manquent trop souvent de cette force reconnue, autant par les alliés que les adversaires, qui permettrait de guider adroitement notre société perpétuellement divisée sur de trop nombreuses questions.

Jean Baillargeon

Expert-conseil en communication stratégique et en gestion d'enjeux

UN MODÈLE À ÉVITER

Le legs de Mme Thatcher est de nature symbolique et reflète bien l'acharnement et la mauvaise gouvernance de l'idéologie ultraconservatrice, qu'elle soit de droite ou de gauche. Pour ses partisans qui se réclament de la droite conservatrice, l'ex-première ministre aura fait un grand ménage symbolique de la gauche conservatrice en Grande-Bretagne, en affaiblissant le pouvoir des syndicats et en privatisant les entreprises de l'État. Ce chaos entre corporatismes ultraconservateurs n'a pas fait de gagnants, à part peut-être auprès des privilégiés. Pensons aux grandes banques qui sont devenus les artisans des paradis fiscaux, l'une des causes du chaos économique mondial actuel. Sur le plan international, Mme Thatcher a réussi à flatter le nationalisme des Britanniques en remportant une victoire militaire peu convaincante contre l'Argentine aux îles Malouines, un autre symbole d'une ancienne puissance coloniale en déclin. Par ailleurs, elle s'est toujours opposée à l'abolition de l'apartheid en Afrique du Sud, afin de maintenir les privilèges d'une minorité de blancs contre la majorité noire. Enfin, elle a appuyé le rapatriement unilatéral de la constitution canadienne en méprisant l'un des deux peuples fondateurs du Canada par son refus de reconnaître le rejet unanime des partis politiques de l'Assemblée nationale du Québec de signer cette nouvelle constitution. En tant que démocrate québécois, Margaret Thatcher est un modèle à éviter.

Adrien Pouliot

Chef du Parti conservateur du Québec et président et chef de direction de Draco Capital 



UN HÉRITAGE DURABLE

Mme Thatcher a redressé un pays malade, en faillite et mis à genoux par l'étranglement des syndicats.  Elle s'est levée contre la gauche bien-pensante britannique et le modèle archaïque de social-démocratie qui inspire encore les socialistes québécois.  L'Histoire lui a donné raison sur toute la ligne. Sa contribution sur la scène internationale fut tout aussi remarquable et comprend le refus d'abdiquer l'autonomie du Royaume-Uni à Bruxelles, le sauvetage des otages iraniens par la SAS, la défense des Falklands, le démantèlement du rideau de fer et la destruction de l' « Empire du Mal » sans un coup de feu et l'amorce du processus de paix avec l'Irlande du Nord.  Une femme exigeante, certes, mais qui avait une boussole idéologique claire et des principes bien articulés et cohérents, de sorte qu'elle ne reculait pas sur ses politiques chaque semaine.  Son héritage fut durable : tous les gouvernements britanniques qui l'ont suivi ont été plus favorables au capitalisme qu'ils ne l'avaient été avant 1979, permettant même au « nouveau » parti Labour de Tony Blair d'être élu. Elle a remis le mot «Grande» dans «Grande-Bretagne».  Voilà le genre de solide leadership dont nous avons grandement besoin au Québec.

Photo d'archives

Adrien Pouliot

Pierre Simard

Professeur à l'ÉNAP, à Québec



POLITICIENNE D'EXCEPTION

Margaret Thatcher aura été une première ministre d'exception. Une politicienne fermement engagée à remettre un pays au bord du gouffre sur le chemin de la prospérité. Une femme de convictions qui, pendant 11 ans, aura mis de l'avant des idées et des valeurs claires sans jamais y déroger. Une élue courageuse et inébranlable qui se refusait à céder à l'opinion publique et qui clamait haut et fort sa volonté de ne pas dévier de sa route. Une visionnaire dont les profondes réalisations, bien que fortement critiquées par l'opposition, auront survécu à son retrait de la politique. En somme, Margaret Thatcher aura été cette leader dont les Britanniques avaient besoin; celle qui aura aussi redonné espoir à tous ceux qui ne croyaient plus dans la politique et les politiciens. Aujourd'hui, plusieurs profitent de son décès pour dénoncer ses erreurs, ses manières brutales et les coûts sociaux du thatchérisme. Mais aucun de ces héros de la social-démocratie ne s'est donné l'effort d'imaginer ce que serait devenu le Royaume-Uni s'il n'y avait pas eu Margaret Thatcher.

Pierre Simard

Jean-Pierre Aubry

Économiste et fellow associé au CIRANO



BIEN, MAIS TROP LOIN À DROITE

Une des principales contributions de Mme Thatcher a été de relever l'économie de la Grande-Bretagne dans les années 80 en se basant sur des principes de base trop mis de côté dans la décennie précédente : vivre selon ses moyens et créer des conditions économiques qui encouragent la productivité et qui permettent un plus grande compétitivité des travailleurs et des entreprises privées.  Ces principes de base ne sont pas que l'apanage des conservateurs (ou de la droite); des gouvernements qui ont une approche plus socialisante les suivent avec succès.  Mme Thatcher a choisi de suivre ces deux principes en préconisant un plus grand laisser-faire, en responsabilisant davantage les citoyens, en réduisant la taille de l'État, en libéralisant le plus possible le commerce et en dérèglementant les marchés, notamment les marchés financiers.  Elle a été cependant trop loin en permettant ainsi une trop grande montée des inégalités de revenus, en négligeant trop les moins nantis et en permettant par un manque de surveillance appropriée contre les excès des marchés libres, notamment dans le secteur financier mettant ainsi en danger la stabilité financière et économique de son pays.  Un peu comme la gauche qui était allé trop loin avant son arrivée, elle est allé trop loin vers la droite.