C'était en novembre 2012. Max avait demandé à son ami Pascal de venir avec lui. Il allait acheter du pot. Il voulait aussi « passer un message » au vendeur.

Le gars en question faisait circuler la rumeur que Max avait volé quelqu'un. Il fallait que ça cesse, cette histoire.

Sauf qu'après avoir acheté le cannabis, ça ne s'est pas passé comme prévu. Le vendeur a mal réagi, il a pris un bâton, il a voulu frapper Max. Pascal, une armoire à glace, déjà condamné pour quelques crimes violents, désarme le vendeur et le frappe partout sur le corps.

Les deux partent en catastrophe. Ils font appeler une ambulance. Il est déjà trop tard : le type meurt à l'hôpital.

C'est le genre de crime qui fait un entrefilet dans le journal. Règlement de comptes ? Homme recherché pour meurtre... Seize ans et demi de pénitencier pour Pascal H...

Ce n'est pas le genre de crime qui nourrit la chronique judiciaire longtemps : il n'y a pas de suspense, il n'y a pas de mystère, il n'y a pas de débat, pas d'enjeu. Seulement la triste banalité de la violence la plus crue.

Mais c'est aussi l'ordinaire de la réalité judiciaire : deux gars gelés ou saouls qui vont acheter de la dope, une chicane qui « tourne mal », qui « va trop loin », et deux minutes plus tard, un gars qui baigne dans son sang. Une mort absurde. Des familles anéanties.

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Si je parle de cette histoire, c'est pour parler de ce Max du début.

Le gars a tout juste 18 ans. Il s'est rendu à la police quatre jours après le crime avec son père. Il a été accusé de meurtre non prémédité.

L'avocat de Max, détenu pendant quelques mois, convainc le juge de l'envoyer en désintox à la maison Mélaric en attendant le procès. Une cure fermée qui dure un an.

À chaque étape, un rapport est fait sur le délinquant. Aussi bien dire que ça ne commence pas très bien. Il se tient avec les récalcitrants du groupe. Il reste en retrait. Mais petit à petit, on le « recadre ». Il change un peu. Il dégèle...

La suite des rapports est le récit d'une lente évolution, d'une réadaptation, d'un rapprochement d'avec sa famille. Il a repris ses études, terminé son cours secondaire.

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Au bout du processus, la poursuite réduit l'accusation à homicide involontaire. Il était complice dans l'agression mortelle, mais passif. Tout semble démontrer que c'est son ami qui a dérapé, même s'il savait très bien à qui il avait affaire.

Il a beau exprimer des remords sincères, la poursuite réclame huit ans de pénitencier.

Mais le juge lui accorde un sursis de peine : s'il se plie à une série de conditions (il doit notamment demeurer à jeun), s'il ne commet pas d'autre crime, il ne sera plus incarcéré du tout. Une décision somme toute hors normes. Pourquoi ? Surtout à cause du passage à Mélaric. Surtout parce qu'il s'était passé quelque chose d'épatant dans ce centre.

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Des cas comme celui-là, on peut en citer cinq, 25, 50... Des gens « perdus », tout au fond du baril social, qui ont commis un crime grave. Et qui se sont présentés à la cour un an, deux ans, trois ans plus tard... Pas mal transformés.

Pour finalement convaincre un juge qu'il y a peut-être encore quelque chose à faire de ces êtres humains. Quelque chose de mieux qu'un emprisonnement. Même s'ils ont enlevé la vie de quelqu'un.

Ce n'est pas le fruit d'un miracle ni d'une intervention divine. C'est simplement le travail acharné de plein de gens dans des centres comme Mélaric. Et qui sont un maillon essentiel dans la réhabilitation.

On nous dit que Mélaric était mal géré, et c'est bien possible. On nous dit aussi que l'ancien système de financement des centres n'avait pas de sens, et c'est aussi vraisemblable. On sait aussi que les échecs sont nombreux.

Mais ce qui n'est pas contestable, c'est que sans ces centres-là, sans leur travail exceptionnel, encore plus de vies seraient perdues.

Et puisqu'on parle d'argent, il en coûterait bien plus cher de renoncer à traiter « ces gens-là ». Après tout, on a affaire à des criminels, non ? Ces histoires-là nous disent qu'on peut changer.

On investit somme toute très peu dans ces centres. On investit assez peu dans l'espoir, quand on compare au coût des emprisonnements.

Plus de la moitié des gens détenus dans une prison ou un pénitencier au Canada étaient sous l'influence de l'alcool ou d'une drogue au moment où ils ont commis leur crime le plus grave.

Je ne suis pas en train de dire qu'ils ne devraient pas être en prison.

Je dis seulement qu'il y a dans ces centres, à l'écart des causes spectaculaires, des gens qui donnent tout son sens au mot réhabilitation. Des gens qui font un boulot dont on n'a pas les moyens de se passer.