À ce qu'il paraît, les Québécois sont «découragés» ? Ils n'en peuvent plus de toute cette corruption, ces maires qui démissionnent, ces gens de Toronto qui ricanent?

Arrêtez-moi ces lamentations!

La crise de la corruption nous donne une occasion de renouveau de la vie publique comme on n'en a pas connu depuis longtemps.

Eh! Opinion publique, faudrait te décider... Tu voulais une commission d'enquête fort, fort, fort il y a deux ans, tu te souviens? Tu t'attendais à quoi au juste? Qu'on ne trouve rien et qu'on dise que tout va bien?

Les autres, les désabusés, qui disaient: Regardez la commission Gomery, ç'a coûté une fortune et presque personne n'a été accusé...

Eh bien, on en a pour notre argent, cette fois! Pendant que les corrompus causent asphalte, valises et golf devant la commission Charbonneau, l'Unité permanente anticorruption (UPCA) a arrêté... 106 personnes en deux ans.

Question argent, la diminution des coûts de construction à Montréal et au Québec, plus quelques billets trouvés dans des garages compensent largement pour les coûts élevés de l'opération.

Je n'essaie pas de nous remonter le moral à la veille de la fête nationale. Je crois vraiment qu'on assiste à un moment historique absolument réjouissant.

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Dans deux, trois ans, quand la commission sera chose du passé, si les procès se passent bien, si l'UPAC continue son travail, on citera ce mouvement collectif comme un exemple de santé démocratique.

Ce qui, aujourd'hui, ternit notre réputation internationale pourra demain devenir un argument de prestige.

On ne voit en ce moment que ces entreprises qui sont menacées de fermeture. Mais des entreprises ne sont pas venues ici parce que les marchés étaient fermés, parce que la mafia contrôlait des secteurs de la construction, et parce que des administrations étaient notoirement corrompues. C'est un des coûts invisibles de la corruption.

Il y a 40 ans, Hong Kong, toujours un protectorat britannique, avait la réputation d'être extrêmement corrompu. On a créé en 1974 une agence anticorruption. En trois ans, près de 250 fonctionnaires, administrateurs publics et policiers ont été arrêtés. Une petite révolution des moeurs publiques a eu lieu. Au bout du compte, cette agence anticorruption est devenue un argument d'affaires et une fierté pour sa population. Elle a eu valeur d'avantage compétitif majeur pour Hong Kong, selon un auteur.

La corruption n'a pas cette ampleur ici. J'avance seulement ceci: non seulement on n'est pas condamné à tolérer la corruption, mais on peut faire de la lutte contre la corruption une... marque de commerce.

A-t-on seulement le choix, d'ailleurs?

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Hier, le président du Conseil du Trésor, Stéphane Bédard, a dit que l'inscription de Dessau sur la liste noire des sociétés démontre que «le système fonctionne». C'est vrai. Il ne suffit pas de tasser quelques dirigeants; il faut un ménage en profondeur - ce qui veut concrètement dire plus de départs, normalement.

Dessau n'attendra certainement pas pour autant cinq ans avant de passer sur la liste «verte». La loi permet de demander une révision du dossier, ce qui sera sûrement fait d'ici peu.

Malgré le vent de panique qui souffle dans le milieu de la construction - et la nervosité des banquiers -, ces firmes vont survivre d'une manière ou d'une autre.

Signe que la «culture de l'anticorruption» est payante politiquement, le ministre Bédard tente déjà de lui donner un tour nationaliste: «Je suis convaincu qu'on va voir émerger dans ces entreprises de nouveaux dirigeants avec des valeurs qui sont différentes, qui sont plus conformes aux valeurs québécoises», a-t-il dit.

C'est un peu fort de parler de «valeurs québécoises», quand on voit que 106 Québécois sont devant les tribunaux pour des affaires de corruption. On n'est pas très bien placés en ce moment pour dire que le Québec se distingue par ses valeurs anticorruption, mettons...

Mais tant mieux si les politiciens s'approprient ce mouvement.

On devine bien entendu que le gouvernement Marois donne un tour politique à cette culture de la déviance qu'il combat: n'étaient-ce pas un peu, beaucoup des libéraux, ces gens qui ont trahi les «valeurs québécoises» ?

Soyons sérieux. La plupart n'avaient aucune affiliation politique véritable autre que leur compte de banque. Ils donnaient à ceux qui rapportaient, et ces dernières années, le centre de gravité était libéral.

Les libéraux, eux, se vantent d'avoir créé l'UPAC - même si c'était aussi pour retarder la création d'une commission.

Qu'importe la récupération politique. Je vois dans l'enthousiasme à se réclamer de cette culture de l'anticorruption un espoir. L'espoir qu'on en fasse quelque chose comme un projet durable, profond, dont tout le monde finira par être fier.

Un jour de fête nationale, ou un autre, on pourra regarder le ménage accompli et se souvenir du jour où on a décidé que c'était assez. Du jour où on a décidé de regarder le problème en face. Du jour où on a décidé, collectivement, de changer les choses.

On pourra se dire: Eh, c'est nous, ça!

Vous savez quoi? Y a de quoi être fier.