Le 29 mars dernier, un portrait du policier Ian Lafrenière avec un trou de balle dans le front a été aperçu, peint sur un mur de briques, dans le quartier Hochelaga-Maisonneuve.

Passant par là, une jeune femme a photographié le graffiti et l'a diffusé sur le réseau social Instagram.

Elle s'appelle Jennifer Pawluck et elle a été arrêtée pour «harcèlement criminel» cette semaine. Elle est en liberté et comparaîtra le 17 avril.

Aussitôt, sur Facebook, sur Twitter et ailleurs, la nouvelle se répand comme un scandale: on a arrêté cette militante «simplement» pour avoir diffusé une «oeuvre d'art». OEuvre discutable, controversée, elle en convient, mais en quoi cette diffusion pourrait-elle devenir un crime de harcèlement?

Les médias, après tout, ne diffusent-ils pas sans cesse des images choquantes, ne serait-ce que pour les dénoncer? Est-ce devenu crime? Et la liberté d'expression dans tout ça?

«La communauté web» appuie Jennifer Pawluck, pouvait-on lire ici et là.

Voilà une expression commode même si ça ne veut rien dire: «la communauté web». Qui est-ce donc? Il suffit qu'un nombre x de personnes mal renseignées répète un mot d'ordre, et hop, la «communauté web» a parlé!

L'avocat Jean-Pierre Rancourt, à TVA, s'étonnait de cette accusation, en doutant fort que le commandant Lafrenière ait été effrayé. Qu'en sait-il au juste?

Le harcèlement criminel, en effet, consiste à se comporter de manière menaçante envers quelqu'un. Ça suppose un acte qui peut «raisonnablement lui faire craindre pour sa sécurité».

Comment donc un policier de sa stature peut-il être effrayé par un graffiti?

Justement, l'accusation ne repose pas uniquement sur ce graffiti.

Mme Pawluck n'est pas l'auteure du graffiti, elle ne l'a que diffusé. Mais elle a accompagné cette photo d'autres images, de balles, de chargeur. On la voit s'excuser d'avoir diffusé une image qui laissait croire qu'elle flirtait avec le nazisme. Elle a également mis en ligne des commentaires de quelques fêlés après l'attentat du Métropolis.

Bref, cette diffusion n'était pas celle d'un simple témoin. Ou d'un journaliste qui la rapporte. Elle s'inscrit dans un contexte à tout le moins bizarre, potentiellement inquiétant. Et si ses intentions sont pures, elle a un sérieux problème de jugement.

Elle a participé à plusieurs manifs étudiantes et contre la brutalité policière, aux côtés de groupes anarchistes. Elle a été arrêtée souvent et est certainement dans le radar policier.

Laissons son cas de côté un instant, on verra bien quelle preuve sera présentée contre elle, et si cette accusation tient la route.

Ce qui m'intéresse ici n'est pas son manque de jugement, mais celui de ce qu'on appelle complaisamment la «communauté web».

Avant de tourner en ridicule cette arrestation, est-il venu à l'idée de Gabriel Nadeau-Dubois, par exemple, que d'avoir son portrait avec une balle dans le front n'est pas nécessairement une expérience sympathique? Qu'il n'y a pas vraiment matière à rigoler? Qu'on est bien au-delà de la critique légitime, voire féroce, des forces policières?

Ce portrait, criant de vérité, ne représente pas «un policier». Il représente très précisément M. Lafrenière. Il a eu l'immense tort, apparemment, d'être le porte-parole hypermédiatisé de la police de Montréal.

À cause du printemps des manifs, il en est venu à incarner à lui seul toutes les polices, tous les abus, tous les agents 728, etc.

Au printemps dernier, des comiques distribuaient des tracts le représentant avec une tête de porc... et avec son adresse personnelle.

Sa famille a dû être protégée.

Drôle, non?

Dans le débat public comme sur les réseaux sociaux, il y a une ligne assez facilement identifiable à ne pas franchir: tout ce qui ressemble à une incitation à la violence.

Des fois, la chose est subtile. D'autres fois, c'est aussi évident qu'un trou de balle dans le front.

Entre deux tirades sur la liberté d'expression (eh, j'aime!) il faudrait aussi s'inquiéter de ça sur Twitter, sur Facebook, dans nos maisons, nos écoles...

Quoi? Le contenu de l'expression.

Pour joindre notre chroniqueur: yboisvert@lapresse.ca