Longue pause des Fêtes oblige, je ne m'étais pas tapé la période des questions de la Chambre des communes depuis un bon moment et je ne peux pas dire que ça me manquait beaucoup.

Je dis bien « me taper » parce que cet exercice devient trop souvent une corvée pour quiconque veut (ou doit) le suivre. Non pas que les questions et les débats soient inintéressants ou insignifiants. Au contraire, tous les sujets abordés lundi, première journée de la nouvelle session, étaient directement liés à l'actualité et aux grands enjeux actuels. Les vraies affaires, quoi.

Non pas que le calibre des débatteurs ne soit pas à la hauteur. Au contraire, le niveau est très bon, et on apprend à connaître de nouveaux visages plutôt doués pour la joute parlementaire. On connaissait les talents d'inquisiteur de Thomas Mulcair et on découvre maintenant Rona Ambrose, à l'aise et efficace dans son rôle de chef intérimaire du Parti conservateur.

À vrai dire, s'il fallait compter les points, les conservateurs ont gagné cette première journée en Chambre, surtout devant les ministres Stéphane Dion (Affaires étrangères) et James Carr (Ressources naturelles), pas très convaincants dans leurs réponses.

Mais le chahut, les applaudissements intempestifs pour tout et surtout pour rien, les algarades et les vociférations de quelques gueulards... Insupportable. Parce que nous sommes en 2016, comme dirait l'autre, il serait plus que temps de mettre de l'ordre dans cette honorable enceinte qui a bien du mal à s'extirper de ses habitudes de taverne d'une autre époque.

Quelques minutes de ce spectacle m'ont convaincu que les députés de l'Assemblée nationale à Québec ont eu raison de bannir les applaudissements l'automne dernier.

C'est malheureux de devoir en arriver là, mais aux grands maux, les grands remèdes.

Une récente étude menée par Samara, un groupe de recherche et d'initiatives en faveur de la démocratie, dresse un portrait désolant de la Chambre des communes, en particulier de la période des questions. Trop peu de députés ont accepté de participer à l'étude (avaient-ils honte ?) pour qu'on puisse en tirer des conclusions définitives, mais on apprend notamment que près de 75 % d'entre eux chahutent leurs adversaires en Chambre, même s'ils estiment que cela leur donne une très mauvaise image. On apprend aussi (sommes-nous vraiment surpris ?) que les femmes députées subissent, en plus des remarques partisanes, des commentaires sur leur physique ou leur apparence. La grande classe.

Malgré les promesses de bien se tenir, de collaborer et de rétablir un certain respect et le décorum aux Communes, la première séance de la période des questions, lundi, ressemblait beaucoup au spectacle pitoyable auquel nous sommes malheureusement habitués.

Entre les cris, les accusations et le brouhaha, de quoi a-t-on parlé ? Là, ça devient intéressant, parce qu'on a beaucoup parlé de pétrole (de transport de pétrole, pour être plus exact), un sujet crucial au Canada. En fait, le projet de pipeline Énergie Est, qui doit transporter le pétrole de l'Alberta jusqu'au Nouveau-Brunswick, est en train de devenir l'un des principaux enjeux politique, environnemental et économique pour le gouvernement Trudeau.

La sortie publique des maires de la grande région de Montréal, Denis Coderre en tête, la semaine dernière, contre ce projet a mis le feu aux poudres dans l'ouest du pays. Le feu s'est propagé lundi aux Communes, où Rona Ambrose a accusé Justin Trudeau de mépriser les travailleurs du secteur pétrolier.

« Il [Justin Trudeau] devrait cesser d'utiliser son téléphone cellulaire pour faire des selfies avec Leonardo DiCaprio et s'en servir pour appeler son ami Denis Coderre à Montréal », a lancé Mme Ambrose. Toutes les questions suivantes des conservateurs finissaient avec la même demande.

Plus tôt dans la journée, Mme Ambrose, flanquée de Gérard Deltell (il prend vite du galon, celui-là) a même accusé Denis Coderre de menacer l'unité nationale en s'opposant au projet Énergie Est. Au cours des derniers jours, le premier ministre de la Saskatchewan Brad Wall a affirmé que le Québec devrait rembourser une partie des paiements de péréquation si le pétrole de l'Ouest ne peut transiter sur son territoire. M. Wall en beurre épais (il y aura des élections le 4 avril en Saskatchewan), mais sa réaction traduit bien une colère réelle contre le Québec.

Mme Ambrose a même comparé l'opposition de Denis Coderre et des autres maires de la grande région métropolitaine à l'affront de la politique énergétique nationale de Pierre Elliott Trudeau, en 1980, une indélébile hérésie dans l'Ouest.

Beau défi pour Justin Trudeau qui, soit dit en passant, rencontre Denis Coderre mardi à Montréal.

L'opposition se moque des selfies de Justin Trudeau avec les grands de ce monde, dont Leonardo DiCaprio, mais la réalité, c'est que le premier ministre a profité de sa rencontre avec le populaire acteur à Davos pour lui dire que son opposition systématique au pétrole des sables bitumineux n'est pas nécessairement constructive. La réalité, c'est que les libéraux sont favorables au projet Énergie Est, mais ils ont tellement insisté pour se différencier des conservateurs qu'on attend autre chose d'eux.

À cause de la chute des prix du pétrole, l'Ouest perd des milliers d'emplois, les revenus du gouvernement chutent, et toute l'économie canadienne en souffre, M. Trudeau ne peut se permettre, ni politiquement ni économiquement, de bloquer Énergie Est. Seulement voilà, il y a cet engagement dans le programme libéral : « Si ce sont les gouvernements qui délivrent des permis aux projets de développement des ressources, seules les communautés peuvent donner leur permission. »

Parlant de communauté, celle de la grande région de Montréal vient de dire non.

Je crois qu'il n'y aura pas de selfie, aujourd'hui, à l'hôtel de ville de Montréal...