Mercredi, je navigue sur le net, quand tout d'un coup, je lis sur La Presse.ca: Radio-Canada ne s'appellera plus Radio-Canada, Radio-Canada s'appellera ICI. Je relis. C'est bien ce qui est écrit. Mais je doute. Si le Noël des campeurs existe, le poisson d'avril en juin existe peut-être aussi. Je vais voir sur d'autres sites, la même nouvelle est affichée. Ça doit être vrai. Pour être certain que la manchette est bien citée, je m'informe à la source, sur le site de Radio-Canada, qui, pour le moment, s'appelle toujours ainsi.

On explique que les noms de toutes les chaînes et plateformes seront modifiés. La Première Chaîne deviendra ICI Première, Espace Musique deviendra ICI Musique, la télévision de Radio-Canada s'appellera ICI Télé, le Réseau de l'Information ICI RDI, le site internet de Radio-Canada deviendra ICI.ca...

Et ICI de suite pour les 10 entités de la société d'État. Cette mesure ne touche bien sûr que le volet francophone. La CBC reste la CBC, et on ne l'écrira pas la CBICI. Of course. On précise à la fin du communiqué que conformément à l'exigence du ministre du Patrimoine canadien James Moore, le nom de la société d'État, lui ne change pas.

Confus? Moi aussi. Radio-Canada devient ICI mais demeure Radio-Canada. On dirait une mesure du PQ: les impôts seront rétroactifs mais ne seront pas rétroactifs. Ce que je comprends du souhait des dirigeants, c'est que Radio-Canada s'appellera encore Radio-Canada en tant que société, mais en tant que télé, radio ou net, elle ne s'appellera plus comme ça. Ils veulent que l'on dise: As-tu regardé 19-2 à ICI Télé? As-tu écouté Bazzo à Ici Première? As-tu lu l'article sur ICI.ca? Ainsi en disant ICI, ICI, ICI, on va comprendre que toutes ces composantes font partie de la même entité. C'est une stratégie qui se défend. Des boss, faut ben que ça change de quoi de temps en temps pour justifier leur présence. Sauf que cette décision supprime quelque chose de trop important. Supprime l'essentiel.

Dans le slogan Ici Radio-Canada, le mot clé n'est pas Ici, c'est Radio-Canada. La marque Radio-Canada a une valeur inestimable. C'est Radio-Canada qui a fédéré les francophones d'Amérique. D'abord la radio, puis la télé. Les Michelle Tisseyre, Fernand Séguin, René Lévesque, Marcel Dubé, René Lecavalier, Pierre Nadeau, Dominique Michel n'ont jamais travaillé à ICI Télé, ils ont oeuvré à Radio-Canada. C'est ce lien là qui unit Lise Payette à Guy A. Lepage, Les Plouffe à Les Parent, Gilles Pelletier à Claude Legault. Ce lien est beaucoup plus important que le lien servant à attacher les composantes. C'est le fil du temps. Ça ne s'achète pas. Ça se tisse de génération en génération, à force de talent, de vision et d'implication. Il ne faut pas le couper impunément parce qu'une firme de marketing a sondé quatre groupes de témoins qui ont affirmé que ICI projette une image plus dynamique que Radio-Canada.

C'est comme si un génie du marketing proposait à Geoff Molson de renommer les Canadiens de Montréal, les OK de Montréal, parce que ça fait plus jeune, plus texto! Noooon!

On s'en fout de l'image dynamique. Radio-Canada, ce n'est pas juste une image, c'est un sens aussi. Tout un peuple s'est cultivé, s'est instruit en regardant Radio-Canada. Maintenant, le peuple a des centaines de canaux pour agrandir son savoir, il fut un temps où il n'en avait qu'un: Radio-Canada. Ce nom-là a trop d'histoire. Radio-Canada n'est pas seulement ICI. Radio-Canada est ici depuis longtemps. Ce sera toujours ce qui différenciera cette antenne de toutes les autres. D'avoir été la première. D'avoir été la pionnière.

Il serait impensable que la BBC mette de l'avant une autre désignation que sa désignation originale. Même chose pour la CBC. Question d'identité et de fierté. Se peut-il que le Québécois ait une carence de fierté? Qu'on en soit rendu à vouloir renommer ce que nous sommes, ce que nous avons créé, ce que nous avons réussi. Il manque deux mots à notre devise nationale: Je me souviens de rien.

Heureusement, l'annonce de ce nouveau plan marketing a soulevé un tollé de réactions négatives venant d'ici et d'ailleurs. Des conservateurs aux indépendantistes, des gauchistes aux droitistes, des artisans aux téléspectateurs. Tout ce que Radio-Canada rassemblait dans la joie, ICI l'a rassemblé dans le mécontentement.

Maintenant qu'est-ce qu'on fait? La sagesse serait de ramener le terme Radio-Canada. Au moins pour la télé. C'est le vaisseau amiral. De toute façon, personne ne regardera ICI Télé, tout le monde continuera de regarder Radio-Canada. Ça fait partie de nous.

Des patrons moins intrépides ont jadis essayé de renommer Radio-Canada, SRC comme dans Société Radio-Canada. Sur les camions SRC, sur le logo SRC, sur la bâtisse SRC. Les gens ont continué d'appeler ça Radio-Canada. SRC, ça faisait trois lettres comme CBC, mais les gens s'en foutaient. On ne change pas de nom comme on change de chemise. Un nom n'appartient pas seulement à la compagnie qu'elle désigne, un nom appartient surtout aux gens qui s'en servent. Et pour nous, Radio-Canada, c'est Radio-Canada.

Patrons de Radio-Canada ou si vous préférez patrons d'ICI, vous devriez être contents de l'émoi que cause votre annonce, ça signifie que les gens sont viscéralement attachés à votre entreprise. Ne coupez surtout pas ce lien. Ne soyez pas seulement ICI. Soyez de leur côté aussi. Soyez de tous les côtés. Ici et à l'étranger. Soyez partout. Soyez Radio-Canada. Comme vous l'avez toujours été.