Peut-on imaginer un affrontement plus captivant pour un Super Bowl ?

D'un côté, les Broncos de Denver, guidés par Peyton Manning, un joueur déjà légendaire, qui disputera sans doute le dernier match de sa carrière.

De l'autre, les Panthers de la Caroline, menés par Cam Newton, un jeune homme doué rêvant d'inscrire son nom dans la liste des grands.

L'affrontement sera présenté à San Francisco, dans un stade écoénergétique (une des tours est même coiffée d'un toit vert) construit pour la bagatelle de 1,3 milliard US.

Ce sera le 50e match du Super Bowl et la NFL met toute la gomme pour donner à l'événement une touche unique. Pour la première fois depuis 1971, les chiffres romains ont disparu du logo. À l'époque, ce génial coup de marketing avait suscité les railleries des médias. Selon ESPN, un journaliste new-yorkais écrivit moqueusement dans son compte rendu du match : « Il y a eu XI revirements et XIV punitions »...

(Note aux nostalgiques : les chiffres romains reviendront en force l'an prochain à Houston. La pause de cette année est uniquement due au potentiel de commercialisation du chiffre 50, jugé plus sexy que la lettre L par les experts du circuit !)

Côté musical, le Super Bowl 50 en aura pour tous les goûts. Lady Gaga interprétera l'hymne national et Coldplay, flanqué de Beyoncé, sera en vedette au show de la mi-temps. Bruno Mars sera aussi de la partie, semble-t-il.

110 millions

Aux États-Unis, l'auditoire devrait de nouveau atteindre 110 millions de téléspectateurs, surtout si la fin de rencontre est excitante comme celle de l'an dernier. 

Pas pour rien que les annonceurs paient 5 millions un message de 30 secondes.

Des centaines de millions seront aussi pariés, parfois sur des sujets aussi bizarroïdes que celui-ci : en acceptant son prix, le joueur par excellence du match remerciera-t-il d'abord ses coéquipiers, son entraîneur, sa famille ou Dieu ?

Partout en Amérique, la bière coulera à flots, les ailes de poulet seront consommées en quantité industrielle et le téléphone des pizzerias sonnera sans arrêt. Oui, le grand match retiendra toute l'attention.

Avez-vous hâte ? Moi, oui ! Pas question de rater ce rendez-vous. Mais je ressens néanmoins une certaine ambivalence : comment concilier mon vif intérêt pour le football américain, qui me passionne depuis des dizaines d'années, avec les consternantes révélations à propos des dangers de ce sport ?

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Durant mon adolescence, Ken Stabler et ses coéquipiers des Raiders d'Oakland, dans leur uniforme distinctif noir et argenté, ne laissaient personne indifférent.

Grand quart-arrière gaucher, Stabler n'était pas le passeur le plus élégant. Mais miser contre « The Snake » dans les derniers instants d'un match, alors que les siens tiraient de l'arrière par quelques points, était généralement une mauvaise idée. Il avait le don de repérer ses receveurs - Fred Biletnikoff était mon préféré - entre deux couvreurs. En 1977, il a mené les Raiders, alors dirigés par John Madden, à la conquête du Super Bowl.

En juillet dernier, à l'âge de 69 ans, Stabler est mort d'un cancer du côlon. Mais ses problèmes de santé ne s'arrêtaient pas là, comme l'a expliqué le New York Times cette semaine. Depuis quelques années, sa tête lui jouait de mauvais tours. Il répétait parfois les mêmes histoires, oubliant qu'il venait de les raconter, le bruit l'indisposait, même celui de la musique qu'il aimait tant, et son sens de l'orientation périclitait.

Ébranlé par le suicide de Junior Seau en 2012 (cette ancienne vedette des Chargers de San Diego fut longtemps un des joueurs les plus populaires de la NFL), Stabler s'est alors engagé à léguer son cerveau à la science à sa mort.

Le résultat des analyses est tombé cette semaine : Stabler souffrait d'encéphalopathie traumatique chronique (ETC), cette maladie dégénérative du cerveau s'apparentant à l'alzheimer, sans doute causée par de trop nombreux coups à la tête. Des 94 anciens joueurs de la NFL examinés par l'Université de Boston, 90 étaient touchés par cette affection.

Le cas Stabler n'est pas le seul à ébranler la NFL en ce début d'année. Il y a deux semaines, on a appris que Tyler Sash, ancien joueur des Giants de New York mort en septembre dernier, souffrait aussi d'ETC. Il n'avait pourtant que 27 ans. Mais selon une spécialiste interviewée par le New York Times, son cerveau était dans un état semblable à celui de Junior Seau, pourtant mort à 43 ans.

À Noël dernier, le film Commotion, mettant en vedette Will Smith, est sorti en salle. Il raconte l'histoire du Dr Bennet Omalu, ce médecin légiste de Pittsburgh qui, le premier, a compris les terribles séquelles des commotions cérébrales en examinant le cerveau de joueurs. Ses conclusions ont ébranlé la NFL, qui a tenté de discréditer ses recherches.

Le film n'est pas aussi saisissant que le documentaire de PBS sur le même sujet, diffusé en octobre 2013. Mais il permet néanmoins de comprendre l'ampleur du problème.

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La NFL est une entreprise florissante et son déclin n'est pas pour demain. Au fil des années, le Super Bowl a dépassé le cadre du simple championnat sportif. Il est devenu une fête rassembleuse. Entre amis ou en famille, on prépare un menu spécial et on tripe sur le match, les pubs et le spectacle de la mi-temps.

Au botté d'envoi, demain, mes yeux seront fixés sur la télé. Peyton Manning remportera-t-il un dernier Super Bowl ? Cam Newton dépècera-t-il de nouveau la défense adverse ? Ma prédiction (Caroline par 7) se concrétisera-t-elle ?

Mais sans vouloir gâcher le party, j'aurai une question en tête avant que les rebondissements du match n'en viennent à occuper toutes mes pensées : de la centaine de joueurs qui nous divertiront durant la soirée, combien verront un jour leur qualité de vie diminuée en raison de graves problèmes neurologiques ?