Le point de presse de Michel Therrien à peine terminé mercredi soir, son commentaire a balayé le web: «On est très conscients que ça va être très difficile de faire les séries», a-t-il lancé, avec une franchise inattendue.

En s'exprimant ainsi, Therrien s'est livré à un exercice périlleux. L'entraîneur d'une équipe en difficulté n'a rien à gagner en évaluant à voix haute les chances de son club d'accéder aux éliminatoires.

Si, malgré les ennuis des siens, il assure que l'objectif sera atteint, on lui reprochera un manque de réalisme.

En revanche, s'il reconnaît que le défi semble trop lourd, on s'étonnera de son manque de confiance en ses joueurs. Des partisans et des analystes se demanderont s'il n'a pas jeté l'éponge. Et les joueurs les moins motivés trouveront dans la remarque du patron une excellente excuse pour enclencher le pilotage automatique.

La déclaration de Therrien n'a sûrement pas réjoui Geoff Molson et Marc Bergevin. Pourquoi? Parce que les organisations professionnelles vendent de l'espoir. C'est l'ABC de l'industrie. Déroger de manière aussi claire à ce principe ne sert aucun but utile.

Dans une situation comme celle du Canadien, où la perspective légitime de participer aux séries est compromise, la norme n'est pas de partager publiquement ses doutes deux mois avant la fin de la saison! Au mieux, un entraîneur évite la question en rappelant l'importance d'aborder les matchs un à la fois. Au pis, il répète la formule éprouvée : tant que nous ne serons pas mathématiquement éliminés, on continuera d'y croire!

Aujourd'hui, après l'entraînement du Canadien, Therrien sera sans doute interrogé sur ses propos. Comme l'impression que l'organisation fignolera ses «lignes» de communication. On voudra recadrer son cri du coeur afin d'effacer l'impression de résignation qui s'en dégageait.

Mais personne ne sera dupe. Ce qui est dit... est dit! Car au bout du compte, on sait tous que Therrien a raison. Et si je salue son honnêteté, je demeure surpris qu'un homme de son expérience, et habituellement d'une extrême prudence dans ses commentaires publics, se soit montré si transparent à ce propos.

La réaction du coach lève en effet le voile sur le fond de sa pensée. Et elle illustre son profond désarroi.

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Au fil des années, j'ai souvent entendu des entraîneurs assurer que leur équipe participerait aux séries, même si leur situation ne présageait rien de bon.

Tenez, en février 1994, Pierre Pagé répétait que les Nordiques seraient dans le coup malgré une fiche largement inférieure à ,500, un rendement désolant pour un club aussi talentueux. «Il reste 30 matchs au calendrier, avait-il expliqué. Ça signifie qu'on peut récolter 60 points. Je ne commencerai pas à m'énerver aujourd'hui.»

Hélas pour Pagé, alors DG et entraîneur des Bleus, le redressement espéré ne se concrétisa pas. Les Nordiques ratèrent les séries et il fut remercié.

Trois saisons plus tard, en janvier cette fois, Mario Tremblay me jura que le CH serait du grand bal du printemps, même si l'équipe peinait à aligner les victoires. «Aucun doute dans mon esprit!», m'avait-il lancé, avec son enthousiasme habituel.

Le Bleuet ne s'était pas trompé. Mais le Canadien fut éliminé dès le premier tour par les Devils du New Jersey et Mario quitta son poste.

Cela dit, la déclaration de Therrien mercredi me rappelle surtout un épisode survenu au baseball, en juillet 1986. À la pause du match des Étoiles, les Expos étaient au deuxième rang de la division Est de la Ligue nationale, 13 matchs derrière les Mets de New York. Rappelez-vous: le concept de «meilleur deuxième» n'existait pas à l'époque. Seuls les champions de division accédaient aux séries.

«Ne nous leurrons pas, lança le gérant Buck Rodgers. Pour que nous puissions les rattraper, les Mets devront s'écrouler complètement. Nous ne sommes pas dans une bonne position. Pour conserver nos chances, il faudrait que les Mets jouent pour ,500 et nous pour ,600. Mais je vois mal comment ils pourraient se contenter de cette moyenne...»

La lecture de l'ami Buck était juste. Le retard des Z'Amours était trop considérable et les Mets remportèrent le championnat. Mais le gérant des Expos n'avait sans doute pas prévu la suite des événements. L'équipe connut une deuxième moitié de saison pénible et termina au quatrième rang. L'enthousiasme n'y était plus.

La direction des Expos n'apprécia pas le verdict lapidaire de Rodgers. D'autant que les foules diminuaient à vue d'oeil au Stade olympique. Alors, si même le gérant n'y croyait plus...

Bien sûr, la situation du CH est différente. Les gradins du Centre Bell sont pleins. Mais quand l'entraîneur, qui est aussi le principal porte-parole de l'équipe, annonce si vite que les chances d'être des séries sont minuscules, l'ardeur des partisans est inévitablement touchée. Résultat, l'auditoire télé risque de baisser et la vente de produits dérivés tourne au ralenti.

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À moins que le Canadien n'amorce une série de victoires, le mois de février sera bien long. Il reste encore trois semaines avant la date limite des transactions. C'est seulement à ce moment qu'on en saura plus long sur les plans de l'organisation.

Le Canadien a besoin de renfort sur la glace, mais aussi de leadership. Ni Max Pacioretty, ni P.K. Subban, ni Brendan Gallagher n'ont réussi à donner le ton en l'absence de Carey Price. Ça aussi, c'est inquiétant. Et c'est peut-être une des raisons pour lesquelles Therrien est si ébranlé.

Photo Robert Skinner, archives La Presse

Buck Rodgers, en 2002