D'une part, Marc Bergevin assume l'entière responsabilité de la déroute du Canadien. «Je suis le responsable des opérations hockey et toutes les critiques doivent m'être adressées, dit-il. Je suis celui qui a bâti l'équipe.»

De l'autre, quand je lui demande d'évaluer son propre travail, afin de savoir s'il a commis des erreurs ou raté des occasions, sa réponse est sans équivoque. «Je me regarde dans le miroir chaque matin et je sais que je fais de mon mieux pour améliorer l'équipe. Je n'ai pas de regrets là-dessus, je travaille constamment, je fais des appels, I care. Honnêtement, je n'ai rien à me reprocher.»

Nous voici donc devant un curieux paradoxe. Le DG du Canadien assume l'entière responsabilité des insuccès de l'équipe - «J'assume, mais ça me fait mal» - , mais s'estime néanmoins au-dessus de tout reproche. Il assure ainsi ne pas avoir «manqué le bateau» à propos d'une transaction possible. S'il n'a pas bougé, laisse-t-il entendre, c'est parce que le jeu n'en valait pas la chandelle.

Alors qui est responsable des insuccès du Canadien? Bergevin est-il lui-même la première victime de l'absence de Carey Price? «Je ne veux pas être une victime», lance-t-il.

Cela dit, il suffit de décoder ses propos pour comprendre qu'aux yeux de Bergevin, l'absence prolongée de Price est la véritable raison des ennuis de l'équipe. «Tu perds le meilleur joueur au monde, qui joue à une position clé, c'est sûr que ça laisse une marque. Ce n'est pas une excuse, c'est un fait.»

L'absence de Price n'est pas seulement ressentie sur la glace et dans le vestiaire, où, malgré son caractère réservé, il est le leader du club. La confiance des rivaux du CH augmente s'il n'est pas en uniforme. Pour l'illustrer, Bergevin utilise cette analogie. «Si tu joues contre les Capitals de Washignton et qu'Ovechkin est absent, c'est sûr que c'est un petit avantage... 

Price reviendra-t-il au jeu cette saison? Pour l'instant, on sait que son absence se prolongera d'au moins trois semaines. Dans ce contexte, même si Bergevin réitère sa confiance en Michel Therrien, la saison semble foutue. Il faudra un miracle pour remettre cette équipe sur les rails.

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Lorsqu'il jouait dans la LNH, Marc Bergevin n'était pas une vedette. Sa belle et longue carrière, il la doit à son attitude - c'était un excellent joueur d'équipe - et à son jeu prudent. Présence réconfortante dans le vestiaire, il ne mettait pas son équipe en mauvaise posture sur la patinoire. Aujourd'hui qu'il est devenu directeur général, sa philosophie n'a pas changé, comme on l'a vu jeudi.

D'abord, le gars d'équipe : Bergevin a pris la défense de son entraîneur, assurant que malgré vent et tempête, il demeurera en poste. Du coup, la pression sur Michel Therrien diminue. Cela envoie aussi un message clair aux joueurs. 

En prenant sur ses épaules les insuccès de l'équipe, il se conduit en chef assumant ses responsabilités.

Ensuite, le joueur prudent: le DG a répété combien il était difficile de réaliser une transaction dans la LNH, notamment en raison du plafond salarial, une «cible flottante», a-t-il rappelé, en raison de la baisse de valeur du dollar canadien.

Tout cela est vrai. Mais derrière cette conviction, on perçoit aussi une résistance devant la prise de risques. Bergevin s'est d'ailleurs félicité de ne pas avoir dérogé à son plan au cours des derniers mois.

Ainsi, voici son analyse des cas Zack Kassian et Alexander Semin, ses acquisitions de l'été dernier, et dont le séjour à Montréal est déjà terminé: «Ça n'a pas fonctionné, et je le sais. Mais je n'ai pas mis l'organisation dans une situation [difficile] pour des années à venir.»

Se disant «prêt à prendre ces petites chances», Bergevin a ensuite tracé une balise. Pas question de céder à l'inconfort du moment en réalisant une transaction qu'il pourrait regretter durant des années. «Parce que je ne suis pas une personne qui panique...», ajoute-t-il.

Conserver son flegme dans un contexte pénible est une qualité essentielle pour un gestionnaire. Mais Bergevin devra se montrer plus audacieux pour conduire le Canadien à un niveau supérieur.

Depuis son entrée en poste au printemps 2012, son plan a permis à l'organisation de retrouver sa crédibilité. Cette étape réussie, la suivante - transformer le CH en prétendant à la Coupe Stanley - exigera une approche plus incisive.

La situation serait différente si le Canadien comptait plusieurs espoirs de premier plan. Ce n'est pas le cas. À propos de la relève, Bergevin rappelle que Michael McCarron, «un gros bonhomme», est le type de joueur prenant souvent plus de temps à se développer. Et que Nikita Scherbak a été blessé, et que Noah Juulsen est toujours chez les juniors...

«On a des jeunes qui poussent, mais ils sont en apprentissage. À quel niveau se rendront-ils? Je ne sais pas. J'espère qu'ils pourront bientôt nous aider, comme Daniel Carr et Sven Andrighetto l'ont fait.»

L'organisation peut compter sur de bons joueurs de soutien, à Montréal et dans la Ligue américaine. Mais elle a besoin d'un attaquant de pointe. 

C'est l'évidence depuis l'été dernier. Bergevin devra s'attaquer à ce dossier. Et même s'il assure que non, je persiste à croire qu'il a surévalué son équipe. Une glissade comme celle provoquée par l'absence de Price est beaucoup trop prononcée pour tirer une autre conclusion.

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En s'adressant à ses joueurs avant l'entraînement de jeudi, Bergevin a bien agi. Therrien a sûrement apprécié cet appui. L'avenir du coach cessera de défrayer la chronique pendant un certain temps. Et en conseillant au groupe de jouer sans la peur de perdre ou de commettre une erreur, il a lancé un bon message. Une équipe détendue connaît plus de succès.

Le DG a aussi eu raison de tenir un point de presse. «Je comprends la frustration des partisans, je sais qu'ils ont des questions», a-t-il dit d'entrée de jeu.

On ne peut qu'applaudir à cette démarche. Sauf qu'il ne devrait pas s'agir d'un événement hors de l'ordinaire, comme c'est devenu le cas. Bergevin est le meilleur porte-parole de l'organisation. Afin de mieux informer les fans, et de soulager son coach et ses joueurs, il devrait assumer un rôle plus public.



Le salaire de John Scott

Marc Bergevin a laissé planer un doute sur les raisons qui ont conduit à l'échange envoyant Jarred Tinordi à Phoenix en retour de John Scott et de Victor Bartley.

Comme l'impression que l'affaire est assez simple. Tinordi n'était plus dans les plans du Canadien, notamment parce qu'on ne l'estimait pas assez mobile.

Pour obtenir Bartley, considéré par Bergevin comme un ajout utile à la ligne bleue, les Coyotes ont sûrement exigé que Scott fasse partie de l'échange afin de se débarrasser de son salaire. Payer Scott n'est pas grand-chose pour le Canadien. Mais à Phoenix, chaque économie compte.