Ah bon! vous êtes surpris qu'Ed Burkhardt, dont les wagons pétaradants ont tué 47 personnes à Lac-Mégantic, ne soit pas accusé au criminel?

Eh que vous êtes cute quand vous tombez des nues!

C'est pourtant clair. Le système n'est pas fait pour emmerder ceux qui sont en haut de la pyramide alimentaire. Si vous êtes en haut de la pyramide, vous risquez beaucoup moins de vous faire passer les menottes aux poignets que si vous êtes cheminot, mettons.

C'est toujours comme ça.

Prenez Cinar, par exemple. Je ne parle pas du procès pour fraude qui est (ENFIN) fait ces jours-ci au cofondateur Ronald Weinberg.

Je parle de 2002. Je parle de l'amende de 1 million imposée à M. Weinberg et à sa femme Micheline Charest par l'ancêtre de l'Autorité des marchés financiers (AMF), la Commission des valeurs mobilières du Québec.

La CVMQ les soupçonnait tous deux d'avoir orchestré un certain nombre de fraudes à la tête de Cinar. Mais le couple Weinberg-Charest a pu nettoyer l'ardoise en payant 2 millions d'amende. Sans avoir à reconnaître quelque malversation que ce soit.

Joseph Stiglitz, Prix Nobel d'économie, parle d'une «capture cognitive» pour décrire la relation symbiotique entre ceux qui font les lois et ceux qui doivent s'y conformer quand il est question du haut de la pyramide.

Ainsi, quand t'es en haut de la pyramide, quand tu es boss d'une entreprise cotée en Bourse, le système est fait autrement: tu peux t'en tirer avec une amende. Dans une «capture cognitive», celui qui conçoit les lois ne peut pas imaginer que le tycoon des affaires puisse être un bandit en puissance, on dirait.

Cette «capture cognitive», qui est en fait une complicité criminelle entre la Business et l'État, elle est universelle. Aux États-Unis, la grande banque HSBC a été l'objet d'une longue enquête sur ses liens avec un cartel de la drogue mexicain. Il fut établi, il y a deux ans, que de hauts dirigeants de HSBC savaient que le cartel en question y blanchissait son fric. On savait. On a toléré. Parce que c'était payant.

Après enquête, le département de la Justice des États-Unis a imposé une amende «record» de 1,9 milliard à HSBC. Mais il a choisi de ne pas révoquer son droit de faire des affaires aux USA. Trop explosif.

Ouf, 1,9 milliard d'amende! Quand même! On se dit: «C'est beaucoup de fric, ils ont eu leur leçon, ces banquiers!»

Ben non, c'est l'équivalent de quatre semaines de profits pour HSBC. C'est rien.

Pis, le département de la Justice a décidé de ne pas passer les menottes à ces banquiers. Il aurait pu. Il a choisi de ne pas le faire.

Le ti-cul de 21 ans qui accepte de servir de mule pour un cartel de la drogue mexicain est comme Tom Harding, le conducteur de la locomotive de Lac-Mégantic: il est en bas de la pyramide. Je ne dis pas qu'ils ne sont pas responsables de leurs actes. Je dis qu'en bas de la pyramide, c'est plus facile de te pincer.

Oui, oui... Des fois, un PDG de SNC-Lavalin ou d'Enron est arrêté. Rarement. L'exception qui confirme la règle.

Le système n'est pas fait pour emmerder ceux qui ont du pouvoir économique, beaucoup de cash ou encore du pouvoir économique ET du cash.

En 2009, le Vérificateur général du Québec a révélé que des sociétés minières avaient laissé une multitude de sites à l'abandon. Facture: un peu moins de 400 millions. Au fil des ans, la facture a explosé: à la fin de l'ère Charest, elle frôlait le milliard!

Pourtant, ces sociétés minières étaient légalement tenues de restaurer ces sites, à leurs frais. Elles ne l'ont pas fait.

Si vous avez déjà dû 500$ à Revenu Québec, vous savez à quel point les pitbulls du fisc mordent fort. Pensez-vous que l'État a envoyé ses pitbulls au cul des minières pour recouvrer ce milliard? Ben non. Le ministre délégué aux Mines, Serge Simard, a été émouvant de combativité quand il a dit, en 2011: «C'est le gouvernement qui va payer.»

Le système est conçu par et pour ceux qui sont en haut de la pyramide. Si vous tombez des nues en apprenant qu'Ed Burkhardt ne sera pas accusé dans le drame de Lac-Mégantic, c'est que vous êtes mal renseigné.