Je ne demanderai pas quel moustique a piqué Louis Morissette. Je le sais déjà: c'est le moustique porteur du virus Zika, celui qui réduit la tête, dans certaines circonstances. Je ne vois pas d'autre raison pourquoi, mercredi encore au micro de Paul Arcand, Louis Morissette s'entêtait à se présenter comme une victime de la rectitude politique.

Tout cela à cause d'une chronique qu'il écrit dans le magazine Véro, où il déplorait que lors du dernier Bye Bye, il avait été «obligé d'engager un comédien noir pour jouer François Bugingo».

Déjà, cette simple formulation fait dresser les cheveux sur la tête et prouve que la chronique est un métier en soi. Pour le pratiquer, il faut maîtriser le message qu'on veut passer, ce qui semble lui avoir douloureusement échappé.

Mais je reviens à l'obligation en question. C'est quoi exactement le problème d'engager un acteur noir pour jouer un Noir? Est-ce qu'un Martien aurait mieux fait l'affaire? Ou peut-être un berger allemand? 

Il me semble que cela va de soi qu'un Noir joue un Noir, non?

Pas pour Louis Morissette, qui aurait préféré avoir recours, pour parodier le personnage de Bugingo, à la pratique économique et facile du blackface, pratique qui consiste à «beurrer la face» d'un acteur blanc de cirage noir ou de fond de teint couleur boue pour qu'il ressemble à un Black, pour ne pas dire à sa caricature.

N'eût été les menaces d'une poignée de protestataires, qui ont fait plier la direction de la télé publique, Morissette aurait été parfaitement à l'aise que François Bugingo soit incarné par un acteur blanc au visage couleur boue plutôt que par un authentique Noir du nom de Normand Brathwaite.

Mais j'insiste: pourquoi était-ce une si lourde et pénible obligation? Morissette a répondu à la question chez Arcand en expliquant que le Bye Bye est produit avec un budget très serré et une équipe réduite de cinq comédiens. Autrement dit, le Bye Bye est trop pauvre pour engager des acteurs noirs.

Pardonnez mon étonnement, mais le budget du Bye Bye tourne autour de 1 million et des poussières. Pour 90 minutes de télé, ce n'est quand même pas la famine.

Je comprends qu'avec ce budget, il faille payer les auteurs, les effets spéciaux, l'équipe technique. Reste que si, en plus, la distribution comptait 20 comédiens, cela coûterait cher, mais, à seulement cinq, personne ne court à la faillite.

Bref, le budget serré n'est pas exactement l'excuse du siècle.

Quant aux cinq comédiens qui doivent certainement être bien payés et qui le méritent amplement au demeurant, une question me chicote: pourquoi est-ce nécessairement cinq comédiens blancs?

Réponse de Louis Morissette chez Arcand: «On pourrait toujours engager un acteur noir, mais, comme ceux qu'on engage font tout, s'il est noir, il ne peut pas tout jouer.»

Ah bon! Les Blancs, eux, peuvent tout jouer, y compris des Noirs en se beurrant la face de boue, mais les Noirs, non? Et pourquoi donc?

Louis Morissette a beau jurer qu'il n'est pas cave ni raciste et qu'il est en faveur de l'inclusion, de la diversité, de la différence et de l'amour entre les peuples, un point important lui échappe. Un point qui n'a rien à voir avec la rectitude politique. Un point souligné à maintes reprises: le manque de représentativité des minorités visibles qui, à Montréal du moins, sont en voie de devenir une majorité.

Louis Morissette trouve-t-il normal qu'ils n'apparaissent jamais sur nos écrans? On dirait bien que oui.

Au-delà du symbole esclavagiste du blackface, ce que cette pratique rappelle, c'est l'absence des Noirs sur scène et à l'écran. C'était le cas hier. C'est encore le cas aujourd'hui, à cette nuance près qu'hier, le blackface était synonyme de moquerie. Aujourd'hui, il est synonyme de chômage. Pas exactement une grande avancée.

On l'a dit, on l'a répété: on ne voit pas d'acteurs noirs à l'écran parce qu'on ne les engage pas et on ne les engage pas parce que ceux qui décident sont majoritairement blancs, comme Louis Morissette.

Je ne suis pas en train de dire que Louis Morissette est raciste. Surtout pas. Mais Louis Morissette évolue dans un certain cadre professionnel où je doute qu'il y ait beaucoup d'acteurs issus des communautés culturelles. Par conséquent, lorsqu'à titre de producteur, il engage des comédiens, il engage ceux qu'il connaît et qui lui sont familiers et, comme par hasard, ils ne sont pas noirs ni jaunes ni bleus ni verts.

Devrait-il pour autant présenter des excuses publiques à ceux qu'il a offensés? Non. Si on commence ce petit jeu-là, on n'est pas sortis du bois. Il n'est même pas obligé de signer la pétition exigeant l'interdiction pure et simple du blackface au Québec. Mais au lieu de s'afficher comme martyr de la rectitude politique, il pourrait essayer de comprendre qu'à force de ne jamais se voir sur scène ou à l'écran, les membres des communautés culturelles, qui sont ici chez eux aussi, soient amers face à leur manque de pouvoir et de visibilité.

Et si Louis Morissette ne saisit toujours pas l'essence du problème, je l'invite fortement à réserver tout de suite ses billets pour la pièce Fredy qui prend l'affiche de la Licorne le 1er mars. Les sept rôles dans cette pièce documentaire d'Annabel Soutar sur le profilage racial sont tenus par deux Noirs, un Latino, un Asiatique et trois Blancs. À l'occasion, les Blacks joueront des Blancs et les Blancs des Blacks, tout cela sans maquillage ni obligations.