Longtemps discriminés, ostracisés et tournés en dérision, les transgenres connaissent en ce moment une vague de popularité médiatique sans précédent.

On les invite sur les grands plateaux de télé, on leur consacre des dossiers et des documentaires et, depuis l'année dernière, ils ont maintenant leur série télé : Transparent, une série produite par Amazon et créée par Jill Soloway, une auteure télé qui s'est inspirée du « coming out » de son propre père, Harry, un psychiatre de 75 ans, qui s'affiche maintenant sous le nom de Carrie.

La première saison de 10 épisodes de Transparent a pris l'affiche jeudi chez nous sur ARTV et, après l'avoir visionnée, je comprends pourquoi elle a remporté un tel succès. Les prix que la série a remportés à la soirée des Emmy (meilleure réalisation et meilleur acteur pour Jeffrey Tambor) et plus récemment aux Golden Globes sont amplement mérités.

Si vous êtes un abonné de la télé publique, vous avez sans doute vu mille fois la pub qui annonce la série. Par son montage et son choix d'extraits, elle promet une série presque rose et joyeuse, prêchant l'ouverture, la tolérance, l'inclusion et toutes les belles valeurs de notre époque enchantée.

Tant mieux si cette pub appâte les téléspectateurs et permet à la série de faire le plein de cotes d'écoute. Mais dans les faits, Transparent est tout sauf une série joyeuse et rassurante. C'est, au contraire, une série qui nous confronte à nos contradictions et torpille plusieurs de nos illusions.

Transparent tourne autour de Mort Pfefferman, un universitaire juif à la retraite en Californie qui, à l'âge de 68 ans, décide de faire ce qu'il s'est refusé toute sa vie : s'habiller en femme et s'assumer comme trans à la face du monde, de son ex-femme et de ses trois grands enfants.

Jusque-là, tout va bien. La vulnérabilité de Mort devenu Maura, sa peur de l'annoncer à ses enfants, sa peur de les décevoir et son bonheur de pouvoir enfin vivre libre et sans se « déguiser » en homme, tout cela est formidable. Même les premières réactions de ses grands enfants, d'abord stupéfaits et estomaqués, puis compréhensifs, sont rassurantes.

Et puis tranquillement, à mesure que Maura déploie ses ailes, ses cheveux et ses jupes, la série nous entraîne dans l'intimité émotive et sexuelle complètement « fuckée » des trois grands enfants qui n'ont jamais réussi à trouver un équilibre personnel ni à savoir qui ils étaient vraiment.

Entendons-nous : ce n'est pas la sortie du placard du père qui est responsable de la confusion, des tourments et des traumatismes des enfants. C'est le passé de mensonges, d'ambivalence mais aussi d'égoïsme que le père leur a fait vivre, volontairement ou pas.

Bref, sous des dehors de grande tolérance, Jill Soloway, qui est à la fois l'auteure et la réalisatrice de la série, fait le procès de la génération des baby-boomers.

Ce qu'elle nous dit entre les lignes, c'est que la révolution sociale entreprise par la génération de ses parents au nom de la liberté, des droits individuels et de l'épanouissement personnel a eu sur ses héritiers des effets souvent néfastes et débilitants et dont les séquelles se font encore sentir aujourd'hui.

Tout le monde, il est beau et trans, très peu pour Jill Soloway.

Dans un long portrait d'elle publié par le magazine New Yorker, on apprend que Jill Soloway a longtemps entretenu avec son père une relation conflictuelle fondée sur une « montagne de ressentiment » dont elle ignorait les tenants et aboutissants. Lorsque son père est enfin sorti du placard il y a cinq ans, subitement tout est devenu clair pour sa fille cadette.

>>> Lisez l'entrevue avec Jill Soloway dans le New Yorker.

Transparent est née de cette épiphanie mais aussi des essais et erreurs de Jill Soloway qui a écrit une demi-douzaine d'épisodes de la mythique série Six Feet Under, qui a collaboré avec Diablo Cody sur l'échec de United States of Tara et qui, après avoir été foutue à la porte de la production de Grey's Anatomy et refusée sur Glee, s'est retrouvée sans le sou et dans l'ombre de Lena Dunham (Girls) à qui elle était perpétuellement comparée, même si Soloway était là bien avant la reine des hipsters.

Transparent est arrivée à point nommé et a, pour ainsi dire, sauvé sa carrière et sa vie.

Je n'ai pas encore vu la deuxième saison de Transparent, qui a été mise en ligne en décembre au Canada en anglais sur Shomi. Mais de ce que j'en ai lu, ça ne s'arrange pas vraiment pour les enfants de Mort/Maura.

Au lieu de ramollir, la série continue, avec une belle insolence, de remettre en cause plusieurs valeurs de nos braves sociétés progressistes. C'est un parti pris audacieux pour une série qui, malgré tout, milite pour une meilleure acceptation sociale des transgenres.

C'est d'autant précieux et utile qu'encore aujourd'hui, en 2016, dans une trentaine d'États américains, les propriétaires d'immeubles locatifs ont encore le droit de refuser de louer à un transgenre. Il serait grand temps que ces lois se trans...forment à leur tour.