Je suis allée voir Hairspray au Théâtre St-Denis en m'attendant à un gros divertissement bon enfant avec une poignée de diplômés plus ou moins doués de Star Académie. Et puis, le rideau s'est levé et alors qu'une première chorégraphie collective parfaitement orchestrée se déployait sur scène, j'ai eu un choc: un choc agréable et rafraîchissant.

Je me suis mise à compter: ils étaient huit. Huit danseurs et chanteurs noirs sur scène plus deux autres qui apparaissent plus tard. Dix en tout!

De mémoire de journaliste culturelle, je pense bien n'avoir jamais vu autant d'artistes de couleur réunis sur une même scène dans une production québécoise.

À noter que les deux mots à retenir dans cette phrase sont «production québécoise». J'ai vu plein de chanteurs et de danseurs noirs dans des comédies musicales de Broadway. Mais chez nous au Québec, les Noirs qui font carrière sur scène, au théâtre comme dans les comédies musicales, se comptent sur les cinq doigts de la main et encore.

Vous me direz qu'avec Hairspray, c'était inévitable. On pense à tort que cette comédie musicale n'est que l'histoire d'une ado rondelette qui se bat pour le droit de danser à la télé. Mais Tracy Turnblad a plus d'ambition que ça: ce dont elle rêve, c'est d'une piste de danse où tout le monde a sa place, les gros comme les maigres, mais surtout, les Noirs comme les Blancs.

Le soir de la première, au beau milieu du premier acte après un numéro de danse électrisant de Gardy Fury, Montréalais d'origine haïtienne, le public s'est levé spontanément pour une ovation. Les Américains appellent ce phénomène rarissime un show-stopper.

Le producteur Gilbert Rozon était tellement estomaqué qu'il a tweeté frénétiquement: «Dans le milieu du show. Du jamais vu! OMG. Standing ovation pour Gardy Fury»

J'ai eu envie de lui répondre que ce n'était pas si surprenant que ça. Que le public québécois est plus ouvert et tolérant qu'on le pense. Et que si les producteurs québécois lui offraient plus de couleur et de diversité à la scène comme à la télé, ses ovations seraient encore plus nombreuses.

Pour tout dire, Hairspray m'a fait prendre conscience à quel point la scène québécoise est en retard sur le plan de l'intégration. Chez nous, on s'arrête encore à la race ou la couleur de la peau. Chez nous, on engage un Noir pour un personnage de Noir. Il nous vient rarement à l'idée de l'engager sans tenir compte de sa couleur.

En 2010, pour le 25e anniversaire des Misérables, une grande tournée d'aréna a été organisée. Javert était joué par un chanteur noir et Fantine, par une actrice née aux Philippines.

Dernièrement à Montréal, le Ballet Royal d'Alberta nous a présenté un spectacle sur la vie d'Elton John. En créant le ballet, le chorégraphe Jean Grandmaitre n'est pas parti à la recherche d'un danseur blanc, blond, gros et bedonnant. Il a préféré engager Yukichi Hattori, un petit Japonais aux cheveux noirs et au corps musclé et filiforme aux antipodes d'Elton. Est-ce qu'il y a eu des plaintes au Comité de la vraisemblance? Non.

Nous sommes en 2013 et il est grand temps que les producteurs des spectacles d'ici enlèvent leurs oeillères. Hairspray fait la preuve que le talent chez nous est de toutes les couleurs et qu'en cherchant, on peut trouver des talents qui méritent le détour. Je pense à la délicieuse Aiza Ntibarikure, une jeune Burundaise qui chante, danse et joue avec un égal succès en ayant l'air d'avoir 12 ans alors qu'elle en a 21, ou encore à Fiston Fataki, un réfugié du Tchad qui bouge avec la grâce d'un jeune fauve. Je pense à Gardy Fury qui danse comme un dieu ou encore à Kim Richardson qui n'est pas la meilleure des actrices, mais qui est divine quand elle chante.

Hairspray est l'une des meilleures comédies musicales signées par Denise Filiatrault. Énergique, rythmé, enlevant, ce plaidoyer pour l'intégration est une réussite. Ne reste plus que son exemple devienne, tous les jours chez nous, une réalité.

ON EN PARLE TROP

De l'agonie de Nelson Mandela. Me semble que ça fait des semaines que les médias nous annoncent que le vieil homme agonise, qu'il est à l'article de la mort ou déjà mort. Ne pourrait-on pas le laisser en paix pour le temps qui lui reste sur terre?

ON N'EN PARLE PAS ASSEZ

Des concours internationaux d'architecture. Celui pour le pont Champlain menace de ne jamais exister. En revanche, la Ville cherche un coordonnateur pour un concours de portée internationale pour le Pavillon de verre du Jardin botanique et les métamorphoses du Biodôme et de l'Insectarium. Après le concours international pour le Planétarium, une autre belle initiative d'Espace pour la Vie.