En 1990, il y avait plus de 14 000 fermes laitières au Québec.

Aujourd'hui, il en reste moins de la moitié, soit à peine plus de 5800.

En 2015, nous apprenait cette semaine ma collègue Stéphanie Bérubé, il y a eu encore plus de fermetures que durant les années précédentes.

Les petits producteurs tombent les uns après les autres.

Ceci ne veut pas dire qu'on produit moins de lait. Avant de quitter leur profession, tous ces fermiers vendent leurs droits de produire du lait, leurs quotas, à d'autres. Souvent des plus gros.

Ainsi, le monde du lait se consolide. Les gains de productivité qui en découlent aident l'industrie locale à tenir le coup dans un monde très concurrentiel.

Parce que même s'il est protégé en théorie par des tarifs, notre lait est au coeur d'un univers commercial nord-américain où on joue dur, où on cherche des façons de contourner les protections. Dans cette galaxie, le lait devient toutes sortes de protéines concentrées, de poudres, de sous-produits laitiers bien loin du bon vieux verre de 2 % qu'on verse sur nos céréales le matin. Actuellement, la joute commerciale qui touche nos fermiers, qui en décourage tant de poursuivre la route, se joue autour d'ingrédients laitiers entrant dans la préparation d'aliments industriels allant du fromage à la crème à la soupe en boîte.

Connaissez-vous le lait « diafiltré » ? C'est une sorte de lait concentré - donc hyper protéiné - grâce à une technologie plutôt nouvelle, qui réussit à entrer ici malgré les tarifications douanières, au grand dam des producteurs locaux. En cinq ans, les importations ont presque doublé, ce qui déstabilise le système de gestion de l'offre. Les producteurs d'ici exhortent donc le gouvernement à revoir la tarification et la classification des dérivés laitiers afin que les brèches soient colmatées.

Cette revendication des producteurs locaux est tout à fait légitime. Dans la mesure où on a choisi de fonctionner avec un système de gestion de l'offre et de le protéger malgré nos efforts pour nous intégrer dans les zones de marchés ouverts comme le Partenariat transpacifique, appliquons-le convenablement.

Les fermiers québécois, pour des raisons économiques, culturelles et environnementales, méritent d'être entendus. Et une certaine souveraineté alimentaire mérite d'être défendue.

Mais de quelle souveraineté alimentaire parle-t-on ?

Pendant que le jeu de l'industriel se joue, qu'arrive-t-il du petit, de l'artisanal ? Qu'arrive-t-il, dans nos routes de campagne, des joueurs qui aimeraient décrocher de la guerre sans fin aux produits dia-je-ne-sais-pas-quoi pour produire encore du lait, mais faire autre chose que de la mozzarella à pizza congelée ou du yaourt à l'amidon ?

Petit acteur menacé et vulnérable à l'international, le monde agricole en général - incluant la Fédération des producteurs de lait - n'est-il pas un peu trop colosse, rigide, quand vient le temps d'entendre les petits qui veulent remettre les règles en question pour trouver de nouvelles voies, notamment du côté des aliments de niche ?

Interviewés cet automne, Daniel Gosselin et Suzanne Dufresne de la ferme Au gré des champs, producteurs de fromage, expliquaient que le système actuel les oblige à payer 1000 $ par mois pour racheter le lait de leurs propres vaches, soit 12 000 $ par année. Dans la vie d'un petit producteur fromager québécois, c'est une somme non négligeable.

Cette somme est-elle vraiment essentielle pour l'équilibre de l'industrie laitière ? Et justifie-t-elle qu'on plombe cette ferme devenue presque un pôle touristique dans cette région près des rives du Richelieu ?

Parce qu'une ferme comme celle-là, avec son comptoir à fromages de lait cru, ses principes écolos, est une institution, une source d'emplois, une école de formation pour futurs fromagers. C'est un lieu à visiter. C'est ce qui fait la richesse des régions. Ne devrait-on pas tout faire pour qu'il y en ait plus ? Pour que les fermiers qui n'ont plus envie de jouer le jeu industriel puissent aisément prendre cette voie et enrichir nos campagnes, et donc toute notre société, différemment ?

Martin Valiquette, directeur de la laiterie Chalifoux à Sorel, qui vient de prendre un virage très intéressant avec toutes sortes de nouveaux produits de niche bien distribués notamment sous la marque Riviera, explique qu'il est actuellement très ardu de pouvoir savoir exactement d'où vient le lait avec lequel on travaille quand on fabrique du yaourt et autres fromages. « Nous, on a une route, mais c'est compliqué », dit-il. Ne serait-il pas normal, évident, que toute laiterie qui cherche à distinguer sa marque sache, sans complication, de quoi ont l'air et ce que mangent les vaches avec lesquelles elle travaille ?

Selon M. Valiquette, la consolidation des quotas chez certains producteurs de lait plus gros que les autres n'est pas nécessairement une mauvaise chose. Ce sont souvent des entrepreneurs dynamiques qui veulent essayer de nouvelles pistes et qui sont prêts à entendre les demandes spéciales de ceux qui désirent faire des yaourts ou des crèmes ou des beurres hors des sentiers battus.

Mais leur donne-t-on toute la souplesse nécessaire ? Leur permet-on facilement de bifurquer vers le bio, le naturel, l'artisanal, le différent ? Parce que, comme le dit M. Valiquette, « il y a beaucoup d'avenir là-dedans ».