«Si une personne est gaie et cherche le Seigneur avec bonne volonté, qui suis-je pour la juger?»

Vous savez qui a dit ça dans l'avion en rentrant de Rio, dimanche soir?

Le pape.

Oui. OMG, comme diraient les ados par texto. Oh my God! Mon Dieu! Le pape François a bel et bien dit ça.

On se calme, me dites-vous? Le pontife n'a pas encore approuvé le mariage entre conjoints du même sexe. Il n'a pas levé les interdits sur les relations homosexuelles. Il n'a pas déclaré haut et fort que gais et hétéros étaient tous pareils devant Dieu.

C'est vrai.

Mais quand même. Dans le monde papal où chaque encyclique se déchiffre en vérifiant pratiquement le déplacement des virgules, où entre les froissements de soutane chaque soupir du Vatican peut être analysé et réanalysé pour en découvrir le sens profond, une telle déclaration fait révolutionnaire.

Ce pape dont on craignait tous qu'il cache son conservatisme derrière ses allures socialisantes inspirées par l'oeuvre de saint François d'Assise, champion des pauvres et de l'évangélisation, serait-il réellement moderne, ouvert?

Chose certaine, il est bien différent de son prédécesseur, le conservateur Benoît XVI. Sa déclaration sur les gais, par exemple, il l'a faite durant un point de presse à bâtons rompus avec les journalistes, dans l'avion qui le ramenait de Rio en Italie. Une heure et vingt et une minutes de questions-réponses. Du rarement vu depuis Jean-Paul II. Benoît XVI, lui, préférait les environnements contrôlés et les questions approuvées.

François, dit-on, n'a pas cherché à éviter la moindre discussion, remerciant même parfois les journalistes pour leurs interrogations directes. Il y a parlé de sujets variés, allant de son désir, impossible, de marcher plus librement dans la rue à la place des femmes qu'il aimerait plus grande dans l'Église (sans pour autant qu'elles ne deviennent prêtres, puisque Jean-Paul II a, rappelle-t-il, clos le dossier en disant non). Selon les journalistes présents, il a même accepté de parler des problèmes internes du Saint-Siège, notamment des difficultés de la Banque du Vatican.

Mais ce qui a le plus surpris, c'est évidemment ce qu'il a dit sur les gais. Benoît XVI, lui, trouvait que les gais ne devaient pas devenir prêtres. Et il l'avait écrit officiellement dans un document du Vatican.

François affirme pour sa part que s'il n'aime pas l'idée d'un lobby gai, de tout lobby en fait, il n'est pas contre les gais, individuellement. Et de toute façon, a-t-il précisé, il ne l'a jamais croisé, ce lobby gai du Vatican, «sur lequel on écrit tant». Jamais «n'ai-je rencontré quelqu'un avec une carte d'identité du Vatican qui dit "gai" ", a-t-il affirmé.

Toute la visite du pape au Brésil, qui prenait fin dimanche, a été marquée par un vent de modernisme, d'ouverture. François y allait pour les Journées mondiales de la jeunesse, où se sont rassemblés, à Rio, sur la plage de Copacabana, plusieurs millions de jeunes catholiques. Après une visite des favelas, durant une messe, le pape a notamment parlé de la nécessité de tendre la main à tous, incluant ceux qui ne vont pas à l'église, ceux «en bordure». Il faut les traiter «en VIP», a-t-il dit - un message ultra rafraîchissant et à propos pour cette Église qui ne peut plus se permettre de ne pas être vastement inclusive.

Car si, au Québec, on n'en parle même plus, en Amérique latine aussi les églises catholiques se vident au profit notamment des évangéliques. Toute posture qui n'embrasse pas largement les agneaux, même égarés, est donc évidemment de plus en plus anachronique. Et ce pape semble le comprendre.

Mais est-ce assez?

Pour la présidente du Conseil du statut de la femme, Julie Miville-Dechêne, l'ouverture du pape envers les gais et les pauvres, notamment, apporte effectivement un air de modernisme à une institution qui en a bien besoin. Malgré cela, cette Église continue, note-t-elle, d'être attachée à des valeurs d'une autre époque, en commençant par tout ce qui touche la quête d'égalité entre les sexes.

«L'Église demeure contre la contraception, contre l'accès à la prêtrise pour les femmes, contre le recours à l'avortement peu importe les circonstances... Il n'y a aucun signe montrant que ce pape est moins attaché à ces positions. Mais au moins, au moins, il ne les met pas de l'avant pour les défendre comme le cardinal Marc Ouellet, par exemple.»

Mais la réalité, ajoute-t-elle, c'est que l'Église demeure rétrograde.

Effectivement. Peut-on vraiment être progressiste si on ouvre un peu la porte aux gais, mais qu'on continue de la fermer aux femmes?

Surtout, y a-t-il un endroit où hommes et femmes, débarrassés de leurs corps, justes en leur âme, devraient être plus égaux que devant Dieu?

L'Église catholique s'ouvre aux gais. Tant mieux. Mille fois tant mieux.

Mais si elle veut vraiment retrouver ses fidèles, qu'elle n'oublie pas de tendre la main aussi à la moitié de l'humanité.